Actes Colloque > Atelier n° 3 : «  Comment les politiques publiques peuvent-elles favoriser les conditions de recherches participatives en croisement des savoirs et favoriser l'application des résultats dans l'élaboration, la réalisation et l'évaluation des actions publiques ? Les conditions de faisabilité et de financement »

Animateur : Cyril Florini, doctorant

Introduction : Laurent Sochard, psycho-sociologue, praticien chercheur

Secrétariat : Isabelle Bouyer, responsable action sociale Mutualité Sociale Agricole Marne – Ardennes - Meuse

Rapporteur : Frédéric Penaud, conseiller départemental Côte d'Or, Centre National Fonction Publique territoriale

 

Cyril Fiorini : On va vous proposer différents temps. Un premier temps de présentation très court. Puis un tour de table pour repérer les catégories de personnes présentes : chercheurs, associations, ATD Quart Monde, formateurs et institutions publiques. Puis Laurent Sochard proposera une présentation sur la thématique de l'atelier. Nous vous proposerons ensuite de travailler en petits groupes pendant 10 minutes et c'est pour ça que nous avons distribué des post-its, l'idée étant de créer un premier échange de manière à faire émerger quelques idées qui seront une base d'échange. L'idée étant de proposer sur les post-its quelques éléments liés à la thématique de l'atelier, les problèmes, les causes, les pistes, les expériences; Et ensuite nous nous retrouverons en plénière. Donc Laurent tu veux rappeler la thématique.

Laurent Sochard: Bonjour à tous. Je suis psychosociologue. J'ai travaillé avec le Mouvement ATD Quart Monde depuis l'année 2000 dans le programme Quart Monde Partenaire. Je faisais partie du conseil d’orientation et j'avais engagé mon institution et les praticiens de mon institution qui était le CNPFT à l'époque, Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et ensuite on a été la première institution à développer des co-formations de manière très régulière et très nourrie avec le Mouvement ATD Quart Monde. J'en ai animé beaucoup pendant de longues années et ensuite j'ai commencé à former des formateurs, des animateurs, des professionnels qui souhaitaient s'engager dans ce travail-là. J’ai aussi une pratique de praticien-chercheur, j'aime bien passer de l’un à l'autre en permanence. Aussi tout le travail épistémologique me tenait beaucoup à cœur dans ce qu'on faisait pour que ces co-formations ne soient pas simplement une espèce de comète dans l'univers de la formation mais s'inscrivent bien dans des filiations théoriques épistémologiques et des filiations aussi de pratiques sociales.

J'étais du CNFPT jusqu'à hier soir pendant 16 ans. Aujourd'hui je suis praticien chercheur indépendant.

D’abord on va juste voir d’où on vient, sans faire un tour de table systématique.

Cyril : Les membres d'ATD Quart Monde peuvent lever la main, les chercheurs, les associations autres qu'ATD Quart Monde, les intervenants de formation, Les institutions publiques. Il y a une journaliste.

Introduction

Laurent Sochard : Notre problématique va porter moins sur les questions épistémologiques et beaucoup plus sur des questions de type institutionnel, des questions pragmatiques et elles ont aussi leur noblesse parce que c'est bien dans cette réalité pragmatique qu’on pourra faire avancer les choses.

On va juste commencer par donner deux ou trois exemples pour se mettre en route et vous pourrez apporter vos idées ou vos interrogations et c'est ça qu'on partage après. Notre thème s’intitule : Comment les politiques publiques peuvent-elles favoriser les conditions de recherches participatives en croisement des savoirs et favoriser l'application des résultats dans l'élaboration, la réalisation et l'évaluation des actions publiques ? On aborde aussi les conditions de faisabilité et financement. On est bien sur le comment.

Politique publique, on peut penser évidemment aux politiques de la recherche mais on peut penser aussi aux politiques européennes en matière d'action sociale, de défense des droits fondamentaux. On peut penser aussi aux politiques sociales au niveau national mais dans un État comme le nôtre qui est largement décentralisé sur les politiques locales, on peut s’interroger sur comment les régions, les villes et les CCAS pour l'action de proximité s'inscrivent dans ce mouvement-là ou pas. Donc par politique publique on va entendre tout ça. Comment peuvent-elles favoriser les conditions de recherche et l'application des résultats et quelles sont les conditions ?

En fait il nous semble qu'on est le seul atelier qui s'attelle à voir la science dans ses dimensions pragmatiques, institutionnelles, donc il faut qu'on ait un regard sur les dimensions de type sociopolitique, évidemment de type financier, c'est le nerf de la guerre, de type politique publique, de type idéologique. On voit bien aujourd'hui comment dans les politiques sociales locales, la question par exemple de la participation, il y a des exécutifs qui ont changé, et remplacé ce terme par la question de la responsabilité. Tous les collègues que j'accompagnais sur les questions de participation, d'émancipation, d'empowerment, sont en train de gommer ces mots-là et ils font la rhétorique des droits et des devoirs. Donc les questions idéologiques sont en permanence présentes, les projets qui sortent du coup n’ont plus tout à fait la même coloration. On ne peut pas tout à fait afficher la même chose donc ce sont des dimensions qui seront évidemment à prendre en compte. Les dimensions pragmatiques, avec les effets et les applications, c'était très présent ce matin, ce sont au fond des questions démocratiques. La question qu'on peut se poser c'est :  est-ce que ça valait le coût au sens du fric qu’on y a mis et est-ce que ça valait le coup de le faire ? Est-ce que ça fait avancer les choses et pour qui ? 

Donc ce sont des questions comme ça qu'on a à se poser, la science plus comme construction humaine, comme fait social qu'on a tous à bâtir dans une logique de responsabilité citoyenne, même si les questions épistémologiques sont évidemment présentes.

Juste un exemple et après c'est à vous de travailler. On s'est dit avec Cyril qu’on prendrait cet exemple parce que l’argent c’est un vrai analyseur évidemment.

Nous, on parlait d'indemnisation, de contribution citoyenne, ce matin c'est le mot rétribution qui était sur un power-point.

Moi j'ai travaillé avec les ministères et beaucoup d'institutions depuis longtemps sur ces questions-là, c'est toujours très compliqué d'aborder la question de l'indemnisation alors que c’est présent pour les élus, c’est présent pour les jurés d'assises, pour un certain nombre de contributions citoyennes et ça ne pose pas de questions. Puis là soudain il y a quelque chose qui réapparaît : il ne faudrait pas qu'on fasse ça pour l'argent, alors que quand on engage un travail véritable comme on a pu le faire à propos des co-formations ou d'autres dispositifs avec des gens pendant une année, comme le faisait Suzanne Rosenberg avec la qualification mutuelle par exemple, on va passer un vrai contrat avec les gens au sens d’un engagement et on a des exigences. Si ce n’est pas sous forme de salariat quelle forme ça peut prendre ? Ce sont des questions tout à fait concrètes sur lesquelles on patauge, je le dis comme ça, je trouve qu'on patauge ; moi, ça fait 15 ans que je suis dans ces groupes-là, ce serait intéressant qu'on arrive à un moment donné à se mettre dans ces choses tout à fait concrètes. C’est un exemple qui me tient à cœur, mais vous en avez certainement d'autres qui permettront de signer dans le concret des choses, des intentions, des valeurs etc. qui sont toujours bien affichées, mais qui se mesurent au pied du mur.

Un autre exemple qui a été dit ce matin par M. Fourniau avec le Groupement d'Intérêt Scientifique. Il y avait un colloque très récemment du 25 au 27 janvier qui était un peu atypique où là, dans ce Groupement d'Intérêt Scientifique, on avait un joyeux mélange citoyens et démocratie de toutes les composantes de la société civile pour essayer de penser à ces questions. Donc la question qu'on a posé c’est : quels outils, quels mécanismes ? Est-ce que c'est dans les appels d'offres ? Je vois arriver des appels d'offres aujourd'hui où un CCAS par exemple dit qu’il faudra que la démarche soit en croisement des savoirs et des pratiques. Qu'est-ce que ça recouvre d'abord pour le décideur qui a inscrit ça et comment on va le faire ? Qui va répondre ? Si ce sont tous les cabinets de consultants, est-ce qu’ils sont formés et de quelle façon ? Quelles clauses on met, sur quel levier on agit pour qu’à la fois ça se développe et pas n'importe comment ? Ce sont des questions qu'on peut avoir à se poser. Voilà, je n’en dis pas plus parce que l'intérêt c'est qu'on en débatte surtout.

Vous vous mettez par groupe de trois. Vous élaborez sur les post-it une question ou une proposition. Quel est le problème qu'on a posé aujourd'hui, comment vous le voyez, les conditions de faisabilité, etc. Nommer le problème, une idée de débat, une condition de faisabilité de financement ou proposition pragmatique, vous en discutez d'abord entre vous pour élaborer quelque chose qui rassemble plusieurs idées. Donc par petits groupes de trois, du coup vous expérimentez ce qu'on fait en croisement des savoirs en permanence, on appelle ça « la tortue ». On ne répond jamais individuellement quand on est interpellé, sinon on risque d'être justement sur une parole non-collective. C’est l’autonomie en groupes de pairs, donc on se réunit d'abord en groupes de pairs pour penser la réponse qu'on va donner qui est toujours plus élaborée, on est plus intelligent à deux ou trois. Vous écrivez, vous venez le lire sans commentaire et comme ça on a la photo. Qu'est-ce que vous avez envie de mettre au débat ? Quel est le problème? Et quelle serait une piste ?

Temps engroupe

Retour des petits groupes

1er groupe : Nous avons dégagé trois problèmes.

1) Le problème du temps, le rythme de la vie politique ne correspond pas à la longue durée qui prépare à la participation des personnes accompagnées. Donc le temps.

2) Le croisement des savoirs est pour le moment spécialisé dans les politiques publiques en lien avec la pauvreté ; il faudrait élargir aux politiques publiques plus larges que la pauvreté : santé, consommation…

3) L'investissement nécessaire pour former les personnes accompagnées n'est pas actuellement reconnu dans les processus de formation professionnelle permanente

2ème groupe : Nous aussi, on à la contrainte du temps dans la recherche, donc il faut exiger un étalement du temps.

  • Il faut organiser un système efficient et légal de rétribution

  • Influencer en amont sur les appels d'offres

  • Susciter des questions plutôt que de répondre à des questions

  • Ce serait bien d'avoir un système de labellisation de certification de la démarche du croisement des savoirs : si ça s'étend il ne faudrait pas que cela devienne n'importe quoi.

  • Enfin bien distinguer les intervenants, ceux qui sont dans les associations d'aides qui interviennent auprès des personnes en situation de pauvreté et les personnes en situation de pauvreté elles-mêmes ;  ce n’est pas la même parole.

3ème groupe : La première question ou la première piste qu'on a décelée, c'est celle de l'importance de la médiation, des acteurs intermédiaires pour faire le lien entre les différents groupes en présence. C’est vraiment fondamental dans ce croisement des savoirs.

Ce qui amène à une autre question, c'est comment lier parfois l'indétermination de la recherche scientifique dans ses objectifs et l'attente de changement social de la part des participants ?

Et le dernier élément qu'on a mis en avant, c’était une question sur comment prouver l'efficacité du croisement des savoirs, on pense que c'est dans sa capacité émancipatoire et sa capacité d’accès aux droits.

4ème groupe : Le conflit de légitimité entre une démocratie représentative et une démocratie participative. La question c'est donc d'abord comment on dépasse ce conflit de légitimité, comment on permet que cette voix soit entendue à l'échelle institutionnelle ? On a vu que dans bon nombre de projets, il y avait un certain nombre de blocages qui étaient liés au manque de volonté des élus et donc des techniciens en application sur les territoires.

La question qu’on s’est posée, c'était aussi celle de la reconnaissance qui nous amène de la légitimité. Il faut d'abord que ces catégories de personnes qui ont travaillé dans les recherches participatives, il faut qu'elles soient reconnues sur le plan citoyen. Cette question est en relation avec la question de l'invisibilité sociale pour certaines catégories de population, ce qui nous amène aussi à réfléchir à la question de la catégorisation dans les politiques publiques. Il faut dépasser les catégorisations notamment dans la politique de la ville, avec les usagers des services sociaux….

5ème groupe : L'action publique peut-elle garantir un statut aux personnes qui sont impliquées dans ce type de recherche, en passant par un statut qui inclurait une rétribution de l'investissement que ce soit en temps passé ou en réflexion, en expertise ?

Et aussi la reconnaissance des connaissances et compétences des personnes impliquées, notamment par des dispositifs tels que les certifications, le compte personnel d'activité, la validation des compétences…

La deuxième question qu’on a soulevée, c'est comment la société civile pourrait imposer sa vision aussi ? Voilà on a reparlé du temps des élus avec les exemples cités ce matin.

6ème groupe : Nous, on est un groupe un peu paradoxal parce qu'on est trois praticiens de la recherche dans des institutions qui pèsent sur les politiques publiques d'une manière ou d'une autre.

On a donc discuté des contraintes et des difficultés qu’on rencontrait et donc on est retombé sur des questions de légitimité, de catégories, de professionnalisation.

On a résumé en une seule question, peut-être un peu compliquée : Jusqu'où les citoyens sont-ils vraiment légitimes à participer à l'élaboration, à la décision et à l'évaluation des politiques publiques en France aujourd'hui ? D'où viennent ces politiques, leur caractère démocratique… ?

7ème groupe : Les règles budgétaires comptables ne permettent pas de mettre en œuvre de telles recherches, par exemple il n'y a aucune ligne budgétaire pour rémunérer les participants, donc il y a des contraintes techniques comptables qui empêchent de mettre en œuvre ce genre de démarches.

Il y a un collectif qui s'appelle « Pas sans nous » qui propose un fonds d’initiatives citoyennes qui permet de financer des équipes qui peuvent conseiller des habitants pour avoir tous le même niveau d'information ou de financer des animateurs.

Troisième idée qu'on a eue en termes de propositions, solutions : c’est un système qui puisse garantir une coprésence, à la fois des institutionnels et des acteurs, à toutes les étapes, c'est-à-dire déjà la présence des acteurs dans la construction de la commande, parce que souvent dans les appels d'offres, on a un cadre de pensée dans lequel il faut entrer et qui ne correspond pas forcément à comment on envisage le problème, mais on est obligé de bidouiller pour rentrer dedans.

Deuxième étape, c'est déjà dans la démarche d'expérience parce que souvent les politiques sont au départ, au démarrage, en amont, et toute la partie expérience, toute la démarche qui prend un peu de temps sur le terrain, ils sont complètement absents et ils ratent une énorme étape importante, dans le chemin, dans le parcours.

Et puis la troisième étape, c'est dans l'évaluation critique et globale de ce qui a été fait, des dispositifs. Parce qu'il y a rarement une évaluation critique globale des dispositifs qui sont mis en place en vue d'améliorer pour de vrai dans le fond.

Débat

Laurent Sochard: Voilà on a tous entendu, merci d'avoir été concis.

Maintenant il faut qu'on reprenne les thématiques, qu'est-ce qui vous paraît sortir, qu'est-ce que vous avez envie d'approfondir ? Il nous reste environ 45 minutes.

 

Une femme: Moi je voudrais juste faire un témoignage d'une expérience un peu particulière. Je suis responsable de l'Observatoire social de la Ville de Paris. On fait des études sur les publics, on fait de l'évaluation de politiques d'accompagnement social, on fait l'évaluation des dispositifs sociaux, en collaboration avec la recherche, on a des jeunes chercheurs. Nous sommes cet espace de médiation entre l’univers de la recherche et les praticiens professionnels. Donc, il y a des expériences et ces expériences ont été voulues par les élus.

Ma mission a été demandée par les élus du secteur social de la Ville de Paris qui souhaitait se doter de ce qu'ils appellent le pilotage de l'action publique et qui, ensuite, dans l’administration, était approprié comme un lieu à la fois d’amélioration des pratiques professionnelles et en même temps un lieu de vulgarisation des savoirs savants auprès des praticiens.

C'est juste pour dire que des expériences de ce type-là, il en existe sur le plan des municipalités, et s'il y a un acteur des politiques publiques qui fait ça c'est bien le local. En effet comme il est confronté à la transformation du social et en même temps à la diminution des ressources du social dans les villes, ils ont de plus en plus de choses à faire et de moins en moins de moyens pour le faire, et ça produit des travailleurs sociaux, des acteurs et des praticiens du social qui se trouvent dans une injonction paradoxale.

Frédéric Penaud : Je voulais juste prolonger ou rebondir sur ce que vous dites, que certains institutionnels ou élus prennent ces initiatives tant mieux et merci de votre intervention. Je suis d'accord qu'on prenne acte que c’est possible.

Faire participer des personnes, c'est une chose, mais ça me renvoie immédiatement à la question, quid de la rétribution ?

D'autre part, quand vous dites que c’est pour aider à construire de la politique d'action sociale, de l'améliorer, du coup dans ces processus-là,, au début, pendant, après, où sont les personnes à qui on a fait appel ?

Je vois que dans notre réflexion, forts des expériences qui existent déjà, comment se dire qu’il y a des points d'amélioration à avoir, parce qu'il y a des zones qui restent effectivement à améliorer et c'est là-dessus qu'on bute encore.

Catherine Neveu : C'est juste un point de vigilance par rapport à une des propositions qui été faite sur l'expérience longue de la démocratie participative, l'idée d'une certification, une labellisation des démarches de co-construction des savoirs. Cette idée est à la fois intéressante pour pas que n'importe quoi se fasse, mais le risque c'est une sorte de dépôt de brevet et de professionnalisation à l'extrême. Et là il faut être attentif que c'est à la fois une nécessité de ne pas laisser faire n'importe quoi avec l'étiquette de co-construction des savoirs, et en même temps il y a un vrai risque de figer des techniques, et de privilégier l'outil par rapport au fond. Ça a été un risque constant de toutes les techniques d'éducation populaire quelles qu'elles soient où on fétichise l’outil et n’importe qui peut utiliser n'importe quel outil, dans des projets complètement différents voire réactionnaires, contre démocratiques.

Laurent Sochard: Pour avoir observé ce qui se passe dans l'action sociale, sur les questions aussi de parentalité, avec le croisement, pour être mis dans la sacralisation du dépôt de brevet et pas dans n'importe quoi, un des moyens qu'on essaie d'avoir c'est la charte. Avec ATD Quart Monde il y a eu cette création de la charte du croisement des savoirs et des pratiques et pour faire vivre la charte, un réseau a été créé, c'est extrêmement important pour nous, d’expériences locales, où il y a toujours un risque de récupération, d’instrumentalisation, de déviation, de perte de sens, etc. Le fait de se référer à une charte du point de vue des valeurs et des pratiques permet de tenir la route et sert de garde-fous

Une femme : Sur la question de la certification il y a une question qui est proche, c'est la question du statut des personnes qui participent aux recherches et c'est vrai qu'on n'a même pas de mots en fait. Le mot « usager », les gens n’en veulent pas, ils sont dans un collectif, co-chercheurs... Il y a un mot à trouver.

Bruno Tardieu: J'ai une question sur le contrôle démocratique, sur un dispositif qui permette aux personnes en situation de pauvreté d’être représentatives.

Il y a un flou considérable là-dessus. J'ai remarqué que dans la politique d’ATD Quart Monde dans le domaine de la santé, grâce aux luttes, il y a une distinction entre les soignants dont la parole est respectée et les patients dont la parole n’est pas respectée. Dans le domaine de la pauvreté, il y a un flou artistique entre ceux qui hébergent et ceux qui sont hébergés et je pense que c'est très dommageable pour la clarté des points de vue et je me demande s'il n'y a pas moyen de discuter pour que ce ne soit pas des personnes isolées qui soient dans des situations de participation dans un très grand déracinement, mais que ce soit des groupes de base qualifiés et légitimes.

Si vous voulez, on est un peu dans la situation où un patron généreux ferait venir à sa table un ouvrier sans les syndicats.

Des collectifs doivent se créer qui sont légitimes, qui sont reconnus comme des espaces où les personnes en situation de pauvreté prennent librement la parole sans situation de dépendance.

Chez ATD Quart Monde il y a un endroit où on héberge les gens dans un CHRS, à Noisy-le-Grand. Dans cet endroit-là, il est clair que les personnes n'ont pas la parole complètement libre, même s’il se passe des choses très intéressantes, mais ce n'est pas là qu'ils peuvent librement prendre la parole et chercher la parole des plus pauvres. D’où le problème de créer un lieu démocratique légitime pour aller chercher la parole des très pauvres.

Une femme, assistante sociale polyvalente de secteur, en charge de la coordination d’un dispositif RSA au niveau local : Pour apporter une petite réponse par rapport à la question de la dénomination, j'utilise le mot « experts d'usage » parce que nous sommes expérimentés dans l'usage de dispositifs. Dans un groupe de travail composé de bénéficiaires et aussi de partenaires de tous les champs professionnels et culturels, on peut en parler, on peut vous dire ce qui bloque, ce qui pourrait faciliter et vous, vous pouvez nous dire ce qui est possible et pas possible.

Camille Arnodin: Par rapport à ce que vous disiez sur l'absence de collectif qui permette aux gens dans des situations de précarité notamment de prendre la parole, en fait je trouve que ça pose une question importante sur les espaces et les lieux. On n'a pas de lieux dédiés à cette prise de parole des personnes et d'autres personnes. Moi j'ai beaucoup participé à une commission de « Nuit debout » qui s'appelle l'éducation populaire où on fait du partage de savoirs sur la Place de la République. C'est un lieu où tout le monde peut se rendre, peut rester, partir. Et c'est une des grandes forces de ce qui a été mis en place et qui continue d'exister tous les week-ends. On s'installe sur la place et les gens viennent parler, prendre la parole et il y a beaucoup de gens en situation de précarité qui viennent, mais pas qu’eux, il y a beaucoup de mixité. On sent bien une certaine souffrance de gens qui ne peuvent pas s'exprimer sur le politique, sur la société dans laquelle on vit, sur l'avenir de notre société, de la planète etc. Les gens ont besoin de parler de ça, d'échanger avec d'autres qu’ils ne connaissent pas. Et on n'a pas de lieu.

Je fais partie aussi d'un conseil de quartier, les habitants voulaient une salle polyvalente, une salle des fêtes pour parler, comme on peut en avoir en province ; à Paris il n’y en a pas. En fait on n’a aucun espace pour pouvoir rencontrer d'autres citoyens.

Il y a des rencontres et des conseils de quartier, ça ne fonctionne pas, parce que les gens ne s'y rendent pas. Il y a une vraie problématique d'espaces de rencontres de prise de parole.

Un homme : J'aimerais revenir rapidement sur la disponibilité des élus à intégrer la reconnaissance de l'expertise des usagers dans les politiques publiques.

Je suis doctorant en sociologie, je travaille dans les territoires de la politique de la ville, sur les communautés subsahariennes dans six pays et sur la problématique du travail social, les pratiques communautaires d'action sociale.

Et le sentiment que j'ai en interrogeant les quelques travailleurs et travailleuses sociales que j'ai eues, c'est une grosse réticence à intégrer les savoirs des communautés, de leurs pratiques, la prise en charge solidaire dans leur pratique à eux. La réticence est d'ordre professionnel, institutionnel, politique, idéologique. Il y a une non reconnaissance des communautés et de ce qu'elles peuvent apporter aux métiers du travailleur social et de manière générale, on en est loin.

Mon travail je le fais de manière comparative avec le Québec qui est un lieu où le travail social intègre les communautés. Effectivement quand on sort de France, on se rend compte à quel point il y a un gouffre entre le discours, les postures, et les pratiques.

Évidemment les élus sont favorables sur le papier à ce que le travail social collectif soit promu mais dans les pratiques il n'y a pas d'appui réel pour les travailleuses sociales. En revanche, les élus se servent de ce que les travailleuses sociales font sur le terrain pour de l'affichage politique. Voilà la réalité ! Donc je suis loin de penser qu'il y a une réelle volonté de la part des élus, de la part de l'institutionnel, à écouter les savoirs des petites gens.

Un homme : Je pense qu'on sous-estime le temps d'incubation avant que la recherche s'engage. Je pense que c'est un temps extrêmement important avant que la question soit posée et qu'on arrive à une problématique plus ou moins formulée.

Je parlerai des patients dans la santé. La loi de santé a été à la fois la conséquence d'une mobilisation des forces associatives comme partenaires de la recherche sur les maladies rares, mais aussi une socialisation politique des associations. Conséquence de quoi, dans la loi de 2002, la place des associations et des patients eux-mêmes a été reconnue à tous les étages. La politique de santé, la place des patients, des usagers a été le fruit de 20 ans de travail, de lutte, de coopération plus ou moins facile et aussi un second souffle pour que toute une série d'autres institutions s'approprient la plus-value scientifique et sociale que cela pouvait apporter.

Il y a d'autres catégories de politiques publiques qui ont pris ce même engagement de la participation dans les politiques de recherche de façon tout aussi efficace. Je pense aux questions environnementales des accords de Grenelle. La place des tiers acteurs non-académiques dans toute une série de recherches a été incorporée sur la biodiversité etc.

Là où ça bloque, c'est au Ministère de la Recherche. Ce n’est pas par hasard que ça se passe dans la politique de santé, dans les politiques environnementales et très difficilement dans les équipes de recherches. C'est le Ministère qui a le moins de culture de la société au sens où on l'entend ici. Donc le Ministère de la recherche est en tant que tel un élément du problème et la solution.

Deuxième élément d’analyse du problème par rapport aux habitants et aux syndicats, je vous renvoie à une étude très intéressante qui est celle de Jacques Tess qu'il a faite au début des années 2000 quand il était au Ministère de l’Équipement. Il a clairement vu que la demande sociale de recherche était extrêmement différente selon qu’on s'adressait à des corps intermédiaires, associations ou syndicats qui parlaient le même langage que les institutions ou que l’on s’adressait aux habitants. Il y a une association qui travaille sur le diabète, la Fédération Française des Diabétiques, qui a essayé de réfléchir à cette question-là. Elle a vu qu’ils ne peuvent pas parler tout le langage des habitants et qu’eux-mêmes mettaient une sorte de voile sur les demandes des habitants, qu’eux-mêmes pervertissaient les demandes des habitants parce qu’eux-mêmes avaient une digestion collective de ce qu'était la demande ou les problématiques digérées par l'organisation. Ils ont donc créé ce qu'ils appellent là-bas le Laving lab qui permet aux gens d'exprimer leurs propositions, leurs sollicitations, leurs demandes. Et donc ils ont complété leur dispositif à la fois de corps intermédiaire et d'habitants. On voit qu'il y a deux trajectoires tout à fait différentes. Les habitants ne disent pas du tout le réel de la même manière que le monde associatif, donc il y a besoin d’un travail syndical de la société civile de se faire valoir comme un partenaire de l'aventure de la recherche. Cela c'est tout à fait légitime avec précaution, mais sans occulter le fait que par exemple le Conseil économique et social ce n'est pas la société.

Il faut bien distinguer les trajectoires des habitants, des populations, des personnes, de celles des corps intermédiaires qui parlent beaucoup plus le langage des institutions. Je pense qu'il faut bien les distinguer et croire que les organisations très liées à des terrains de lutte sont tout à fait aptes à avoir des trajectoires politiques qui s'adressent autant aux habitants qu'à une direction politique comme partenaires de recherche. Ces deux trajectoires ne sont pas les mêmes et ce ne sont pas les mêmes lieux, ni les mêmes problématiques. Elles n'interviennent pas au même niveau dans les processus de recherche et, à mon avis, il faut distinguer la demande sociale des habitants de celle d'un corps intermédiaire, syndical ou autre.

Claire Hédon : Juste pour vous préciser. Je suis présidente du Mouvement ATD Quart Monde et dans la vie de tous les jours je suis journaliste à RFI et je fais une émission quotidienne sur la santé.

Je voulais vous parler de la question de la parole des plus pauvres. Je trouve très intéressante la comparaison avec le domaine de la santé et, entre autres, du sida, mais pour moi, il y a une énorme différence, c'est que ces personnes qui sont touchées par le VIH sida ne sont pas du tout issues du même milieu avec les codes sociaux et les codes de la parole et c'est là-dessus que je veux venir, la question de la parole des personnes en situation de grande précarité.

Pour qu'une Doris s'exprime comme ça tout à l'heure, je ne la connais pas bien, je ne connais pas son parcours, combien d'années faut-il au sein du Mouvement ATD Quart Monde, combien d'années faut-il à l’université populaire, pour prendre un jour la parole, en public, dans un colloque au CNRS ?

Je trouve très intéressante la remarque que vous avez faite sur la Place de la République où il y a eu certainement des personnes en situation de précarité, mais probablement pas les plus pauvres et les plus exclues que nous voyons débarquer en Université populaire qui sont dans l'incapacité totale au début de prendre la parole en public.

Camille Arnodin : Il y a des personnes SDF qui viennent et qui ne prennent pas la parole.

ClaireHédon : Dans les personnes en situation sans-domicile-fixe il y a des gens qui sont dans la grande précarité, pas forcément depuis des années ou des générations dans la grande pauvreté. Je voudrais juste vous donner un exemple sur ce qui se passe aujourd'hui. Il y a une militante dans la salle qui dit : « C'est quand même compliqué tout ce qu'on dit. J'ai du mal à tout suivre ». Et en fait, elle est en train de bloquer sur une phrase qui a été dite, et c'est ce qui se passe quand on a des dialogues comme ça avec des militants Quart Monde. Il y a une phrase qui a été dite : « La pauvreté ça peut être un passage » et elle a entendu « la pauvreté c'est un passage » et elle dit « moi, la pauvreté ça n'est pas un passage, j’y suis depuis des années ». Je vous donne juste cet exemple pour vous dire comment toute la question des conditions pour que ces personnes puissent prendre la parole et que nous, Mouvement ATD Quart Monde, on se trouve finalement très souvent en situation où on n'a pas tant de personnes capables de participer à des recherches et je peux vous dire que le monde associatif est dans la même situation quand on discute avec lui.

Il faut être capable de prendre la parole et il faut aussi être capable d'encaisser ce qui peut être dit. C’est pour ça que je racontais l'histoire de cette militante qui est en train de bloquer sur quelque chose qui empêche d’écouter la suite.

Bruno Tardieu: Je comprends, je voulais juste réagir à ce que vous avez dit. Je pense que les lieux existent, mais ils manquent de reconnaissance. Des lieux où les gens s'expriment, j’ai connu plein de centres sociaux dans des quartiers très pauvres où des petites associations s’installent, où les gens s'expriment, mais ils sont complètement écrasés par des dispositifs de consultation. Il n'y a pas de recherche des lieux qui seraient légitimes pour les renforcer, les faire connaître. Il n'y a pas assez de lieux et en même temps il n'y a pas de reconnaissance des lieux qui existent.

Claire Hédon : On est dans une société qui est scindée. Moi, avant de rentrer à ATD Quart Monde je ne connaissais pas la pauvreté et la vision qu'on a de la pauvreté ce sont les personnes sans domicile fixe dans la rue et c'est tout. Et en fait, on n'a pas de lieu de rencontre.

Catherine Neveu : Oui, j'aurais plein de choses à ajouter au pot commun.

Une question sur la faisabilité du financement. Comment est-ce qu'on arrive à réfléchir à la fois la sommation qui est faite à travers un certain nombre de programmes de recherches qui sont financés par des institutions centrales, comme les Agences Nationales ou par des régions, par exemple, qui financent aussi de la recherche, avec cette injonction qu’il faut que les recherches produisent immédiatement des préconisations qu'on puisse transcrire tout de suite dans la mise en œuvre des politiques publiques ?

Du coup, passe à la trappe tout un enjeu de la recherche et des savoirs qui est la fabrication du réarmement d'un esprit critique, la construction commune de recherches démocratiques.

Il me semble que, si on pense la question de la contribution des recherches participatives aux politiques publiques uniquement sous l'aspect de l'opérationnalité immédiate, on se prive d’humanité en tant qu'elles sont aussi une dimension démocratique de nos sociétés, une sorte de substrat qui permet de penser de manière plus démocratique l’élaboration des politiques publiques.

Un homme : (travaille à l'Agence française de développement (AFD), à la division du partenariat avec les O.N.G) : Je pense qu'il y a un travail d'accompagnement pédagogique des élus à faire, parce que les élus sont pris dans un laps de temps et dans un contexte où c'est la gestion du moindre emmerdement, parce que comme la journée est ponctuée d’emmerdements tout le temps, je ne vais pas en plus m'en rajouter avec des questions de recherche ou avec la participation de communautés qui veulent m'imposer leurs codes culturels.

Évidemment, c'est complexe de gérer la question communautaire, la question culturelle.

Il faut expliquer aussi aux élus que la recherche n’est pas là que pour chercher, elle est aussi là pour prouver qu'elle apporte des solutions, des réponses. Donc c'est un travail de pédagogie auprès des élus pour les rassurer et leur dire : oui si vous donnez les moyens, oui si vous donnez les lieux, l'argent et le temps, on va construire des solutions ensemble, y compris avec les plus exclus, avec ceux qui n'ont pas la parole, qui n'ont pas le pouvoir.

De fait, dans ce qui s'est passé en 2002 il y a quand même la prise de parole de gens, de personnes qui ont été touchées par une maladie, le sida, c'est tout le monde, y compris les gens du pouvoir, y compris des gens de l’art, de la presse, de la communication, du monde de la finance, des gens qui avaient accès à la parole et au pouvoir de décision. Le problème c'est que les pauvres n'ont pas la parole, mais n’ont pas la décision non plus. Ce qu'on peut se dire c'est qu'il y a un travail pédagogique d'accompagnement auprès des élus et aussi peut-être en termes de rapports de force avec les élus, en termes de plaidoyer, en termes politiques.

Il faut mettre cette question sur la table, sur l'agenda parce que c'est absolument scandaleux de se dire qu’ il y a 50 ans, un prêtre dans un bidonville faisait appel aux chercheurs pour comprendre les causes de la grande pauvreté, et que 50 ans plus tard, il y a plus de pauvres qu'il y a 50 ans et que la richesse a augmenté et que le monde est plus inégalitaire aujourd'hui qu'il y a 50 ans, alors que cela fait 50 ans qu'on cherche et qu'on travaille sur les causes de la grande pauvreté. Comment se fait-il qu'aujourd'hui il y ait plus d’argent dans le monde et qu'il y ait plus d'inégalité dans le monde et plus de pauvreté dans le monde, alors que cela fait 50 ans qu'on cherche sur cette question et qu'on devrait avoir appris de la recherche. Donc c’est aussi un combat politique qui a été mené sur le sida qui n'est pas suffisamment mené sur la pauvreté.

Laurent Sochard : Il ne nous reste plus que 10mn pour faire des propositions à partir de tout ce que nous avons dit.

Par exemple le collectif « Pas sans nous » discute du rapport Bacqué sur la politique de la ville et interpelle les candidats à la présidentielle sur les questions de comment on peut aider à rétribuer ou à reconnaître la contribution citoyenne des habitants.

La question des financements : on ne trouve pas de lignes budgétaires pour les co-formations. Quand j'étais dans ma boîte de formation, je me suis battu bec et ongles avec mes services financiers pour dire « ce sont des formateurs, ils ont des compétences. Je veux un dossier de formateurs pour eux et ils sont payés comme vacataires ». Il faut chercher à inventer.

Dans notre équipe aujourd'hui, dans les réponses à appel d'offres, on en a fait un avec la ville de Nantes et avec une structure sociale. On est deux consultants, donc 2 journées d'intervention. Et on leur dit : « vous voulez faire du croisement des savoirs, on vous propose une contribution militante qu'on ne facturera pas, on va rechercher ensemble les moyens d’indemniser les gens ». On veut qu'il y ait un comité de pilotage sur cette question-là. On risque de perdre des marchés parce que des élus risquent de nous dire : « on leur demande de faire du croisement, on ne leur demande pas de changer la société ».

Un homme : La question du financement est des deux côtés : on peut imaginer des lignes comptables, sauf qu'un certain nombre de militants, pour ne pas dire la plupart sont bénéficiaires des minima sociaux. Les minima sociaux ça fait l'objet d'une déclaration trimestrielle de ressources et toutes les ressources que vous avez perçues dans le trimestre précédent doivent être défalquées de vos droits potentiels. Donc si vous touchez mettons 400 € sur six jours sur le trimestre, ces 400 € vont être déduits du montant du revenu de solidarité active. Bilan de l'affaire, on tourne en rond sur cette question-là et ça fait partie des améliorations législatives. Pour le coup il faudrait très concrètement qu'il y ait ce qu'on appelle une neutralisation de ressources, prévoir quelque chose qui se rajoute à d'autres prestations, une prestation pour participation à des coûts de co-formation. Donc ça fait partie de propositions législatives.

Claire Hédon : Les minima sociaux sont des maximums sociaux, donc ils n’ont pas le droit d’y toucher.

Daphné Aouizerate : Il y a un rapport de 2012 fait par le ministère qui s’appelle Participation des bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active, relatif au dispositif dit de recommandations  et là-dedans vous avez six axes avec à chaque fois cinq ou six recommandations et on retrouve parfaitement tous les discours qu'on entend depuis ce matin, que ce soit sur la question de la place de la concertation, des espaces, de l'accompagnement pratique au changement des travailleurs sociaux, l'accompagnement des élus... Sur la question de la rémunération qui a mis des gens en difficulté sur les déclarations de ressources concernant les représentants des bénéficiaires du RSA dans les équipes pluridisciplinaires, cela doit être vu comme une indemnisation par rapport aux frais engendrés par leur présence aux participations. Donc dès l'instant qu'on est sous la forme d'indemnisation, la loi prévoit que ces ressources n'ont pas à être prises en compte dans les revenus et ne doivent pas être déduites du revenu de solidarité active.

Une indemnisation des frais n’a pas du tout la même valeur qu’une rémunération pour l’apport de connaissances et du temps passé.

Pierrine Robin: Dans la suite de cette question, on a parlé de donner un statut à ces personnes. Je travaille sur un projet européen sur 12 pays, il y a des personnes qui contribuent à ce projet que nous avons nommées : chercheurs pairs co-chercheurs. A l’université de Créteil on les appelle : chercheurs pairs en protection l'enfance. Je trouve que c'est très important par rapport aux autres chercheurs d'avoir ce titre pour la production de savoirs. Cette différentiation est intéressante aussi pour la comptabilité. Il y a aussi le titre « experts d’usage », mais ça renvoie à usage.

Bruno Tardieu: L'évaluation du RSA par les pouvoirs publics portait sur toutes les dimensions sauf sur la participation à la gouvernance. Il a fallu qu'on insiste fortement parce qu'on est extrêmement critique à l’égard de la participation d'une seule personne en situation de pauvreté dans ces équipes. Et, autre chose, j'étais très touché que, quand on parle du compte personnel d’activité, comment ce CPA peut devenir un portefeuille de compétences ? Il y a la VAE qui correspond à des compétences bien déterminées… Il y a là un chantier.

Thierry Guérin : Je suis psychosociologue et je travaille au Secours catholique. En ce moment, je suis responsable d'un département qui s'appelle la mobilisation citoyenne. Moi, ce qui m'énerve souvent dans la démarche de croisement avec des chercheurs, des travailleurs sociaux, des personnes en galère, c’est que les politiques ne se mettent pas dedans, ils nous écoutent, ils sont touchés, mais on ne sait pas trop ce qui est repris après. Dans le dispositif du croisement, on se dit : on se revoit dans 3 mois, dans un an pour voir comment on a cheminé. Vous dites qu’on est dans une co-construction, mais en fait, vous nous mettez dans la consultation. Est-ce qu'on ne peut pas construire autre chose ?

Un homme : En termes de propositions, la question que je pose aux amis d'ATD Quart Monde : ce travail-là, ça fait 30 ans que vous le faites, la reconnaissance vis-à-vis des politiques publiques et de la recherche n’existe pas encore ?

Il y a plusieurs hypothèses : il faudrait affirmer un nouveau type de laboratoire. Pourquoi il ne pourrait pas y avoir un laboratoire autonome de citoyens hybrides, ATD Quart Monde et les acteurs de la lutte contre la pauvreté et 3, 4, 5 unités mixtes de recherche intéressées par ces questions ? Créer un nouveau statut de laboratoire hybride de citoyens chercheurs.

Il faut une ligne budgétaire dédiée au niveau de la recherche pour l’émergence de nouvelles communautés de chercheurs pour des recherches collaboratives, participatives, avec des appels à projet annuels ANR.

La troisième chose, c'est en termes de politiques publiques, il va y avoir la reconnaissance des recherches participatives dans une charte qui s’est beaucoup inspirée de la charte du croisement des savoirs - le livre blanc d’ALLISS.

Il existe dans le mouvement d'éducation populaire une politique de soutien à l'emploi associatif qui permet de traiter ces sujets, le Fonjep - recherche dédié à des organisations de la société civile qui ont elles-mêmes dans leur statut la production de connaissances.

Il y a des milliers de lieux qui, eux-mêmes, vont se reconnaître comme participants de la recherche et contributeurs de connaissance. Par le bas, lancer une cartographie participative des organisations, des centres sociaux, pour savoir quelles sont les associations de terrains qui se reconnaissent comme partenaires de la recherche ou de contributeurs de savoir. Et par le haut, je pense que ce n’est pas scandaleux de proposer au Ministère de la recherche un agrément d'associations complémentaires de la recherche. Il existe un agrément complémentaire des associations de l'éducation qui entrent à l'école qui sont des partenaires éducatifs ou para éducatifs. On peut tout à fait imaginer l'agrément d'associations partenaires de la recherche et de l'enseignement supérieur en France ça ne me paraît pas aberrant.

Un homme : J’aimerais rebondir sur deux interventions qui ont eu lieu, l'idée de susciter, pas toujours de répondre. Si on s’intéresse à la dimension culturelle, on sait que la pauvreté aujourd'hui, elle est marquée par des déterministes culturels et sociaux économiques et on sait aussi que c'est quelque chose qui va certainement s'amplifier dans les années à venir avec les migrations climatiques, donc on est au cœur de problématiques scientifiques.

La piste est de faire un travail d'analyse prospective, c'est-à-dire de ne pas être dans la réactivité uniquement par rapport à la situation mais se projeter dans l'avenir : la pauvreté dans 10 ans dans 15 ans ça sera ça, et nous, associations de la société civile, nous experts, travailleurs sociaux, nous chercheurs on vous propose dès aujourd'hui de travailler sur cette prospective pour éviter de tomber dans une situation où les personnes sont en situation de pauvreté.

Une femme : Un des gros freins a été soulevé à plusieurs reprises c'est la continuité et la sensibilité des décideurs mais aussi de ceux qui mettent en œuvre les politiques publiques. Vous avez parlé de l’influence de ces pratiques au CNFPT, il y a sans doute à faire la diffusion de ces pratiques au sein de la société. Il y a sans doute la diffusion des pratiques dans tout un tas de lieux où on forme les administrateurs des politiques publiques, les fonctionnaires qui mettent en œuvre les politiques publiques. Mais il y a des écoles avec des programmes de formation parce qu'en fait il n'y a pas de rupture. Il ne faut pas penser les politiques publiques avec des professionnels, des élus, des administrateurs, des chercheurs qui seraient stratifiés. C'est beaucoup plus fluide et du coup si on a des fonctionnaires sensibilisés et formés à ces questions-là, je crois même qu'il faut aller très loin et se demander si à l’ENA, à l’INED, à l’INRA on ne pourrait pas faire des formations.

Une femme : Je pense que l'idée d'une ligne budgétaire pour ce type de recherche avec des modalités de financement serait utile mais ça nous renvoie à nos discussions précédentes sur qui évalue et comment les projets sont évalués.

Là, on a beaucoup parlé de la position des personnes en situation de pauvreté mais il y a aussi des vrais enjeux de comment la participation à ce genre de recherche est valorisée et valorisable pour des étudiants et la carrière des chercheurs, parce que quand on fait son bilan de chercheur, son compte rendu d'activité, il y a une ligne si on collabore avec des entreprises mais il n’y a pas de ligne pour la collaboration avec le monde associatif. Et l'extrême pression par rapport à l'excellence individuelle, si on n’a pas d’article dans l'année, on n'est pas bon etc. Donc quand on voit tout le temps que nécessite ce genre de recherche s'il n’y a aucun moyen pour les chercheurs ou les étudiants de les faire valoir comme légitimes dans leur parcours professionnel ou de formation, ça ne va pas changer grand-chose.

Une femme : Je rebondis sur ce qui vient juste d'être dit, sur le lien entre la formation en travail social et les instituts d'études politiques et le croisement des savoirs qui est hyper porteur et qui permet de travailler sur la question de la participation etc. C'est l'idée de pouvoir essaimer ce genre de pratiques dans l'ensemble des instituts de formation qu'ils soient à destination de futurs fonctionnaires ou autres, c'est une piste qui semblerait efficace. J’ai suivi des cours qui étaient animés par des formateurs du travail social dans un master de Sciences Po dans une action collective, ça nous insufflait une réelle culture du collectif et la participation des personnes.

Un homme : Par rapport à Sciences Po, la nouvelle doyenne a ouvert une ligne de formation pour tous les étudiants de première année de Sciences Po Paris. Ils sont 1500 sur les enjeux de la recherche en sciences sociales, à partir de la rentrée 2018, puisqu'on a en charge la définition de ce programme là et on a mis dans les conditions d'enseignement que le dispositif de croisement des savoirs du type d’ATD Quart Monde fasse partie de l'enseignement obligatoire pour la première année de Sciences Po Paris.

Laurent Sochard : Nous avons aussi un chantier pour travailler sur la formation initiale.

Cyril Fiorini: Un mot pour vous remercier pour la richesse des échanges de l'atelier. Malheureusement, dans la session plénière qui va suivre on ne pourra pas reprendre tous les éléments, d’où l'intérêt du travail du secrétariat et de l'enregistrement.

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