Animation : Françoise Ferrand, conseillère pédagogique des programmes Quart Monde - Universite et Quart Monde Partenaire
Introduction : Hugues Bazin, chercheur en sciences sociales, LISRA
Intervenant : Pascal Marty, directeur adjoint scientifique de l’InSHS
Secrétariat : Alex Roy, doctorant
Rapporteur : Ides Nicaise, chercheur en économie à l’Université de Leuven (Belgique)
Hugues Bazin : Je suis chercheur en sciences sociales, travailleur indépendant, et animateur d'un réseau qui s'appelle le laboratoire d'innovation sociale par la recherche action.
Françoise Ferrand : Nous accueillons aussi dans le groupe M. Pascal Marty qui est du CNRS
Pascal Marty : Je suis un des membres de la direction. Je suis un des adjoints de Patrice Bourdelais en charge dans l'équipe de ce qui relève des relations internationales et européennes. Je m'occupe aussi de la supervision des laboratoires de géographie donc je suis particulièrement heureux d'être là sur cette thématique comme cela était dit ce matin que j'ai beaucoup soutenu et que je souhaite encore très fortement soutenir.
Introduction
Hugues Bazin : Je vais vous présenter une expérience et à travers cette expérience réinterroger l'intitulé de cet atelier : les conditions méthodologiques, épistémologiques, éthiques dans un travail en croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté.
Mon école de formation c'est la recherche action, çà a été évoqué ce matin. Je ne vais pas faire un long développé sur la recherche action, ça nous prendrait beaucoup trop de temps et surtout il y a beaucoup de définitions parce que, comme on a dit ce matin, la distinction entre recherches participatives, collaboratives, recherches-actions, peut-être (on va peut-être en discuter tout à l'heure), ça mériterait des explications plus importantes puisque dans chaque branche, il y a plusieurs démarches, parfois même contradictoires, méthodologiques, épistémologiques qui se revendiquent de la recherche action.
Donc, ce que je vais présenter, ce n'est pas la recherche action, mais une démarche en recherche action qui est porteur d'une marque de fabrique qu'on appelle le labo social. Donc je vais expliquer en quoi ça consiste.
Le labo social
On essaie de le faire avec des récupérateurs, vendeurs de rue, c'est un peu les descendants des chiffonniers pour vous donner une image, même si cette image est évidemment historiquement datée et ne correspond plus à la réalité d'aujourd'hui des années 2000.
Ce sont donc des gens qui créent une économie en récupérant des objets au rebut. Des objets qu'on n'utilise pas, des déchets, pour ensuite les revendre en direction de gens qui sont aussi en situation de pauvreté. Donc il y a un double effet économique à la fois de pouvoir créer une économie dont on bénéficie mais aussi que d'autres en bénéficient. C'est ce que nous appelons, nous, une économie populaire.
L'idée, ce n'est pas de vous exposer cette expérience, on n'a pas le temps, mais de vous donner peut-être quelques éléments de réflexion que vous pourriez reprendre ensuite dans la discussion en groupes et ensuite dans le partage.
Comme il a été dit ce matin, on a créé un collectif, labo social, en fait c'est de dire on ne fait pas une étude sur un objet « les récupérateurs vendeurs », c'est la situation sociale de ces récupérateurs vendeurs, l'écosystème qu'ils développent, l'économie qu'ils développent, qui nous convoque. C'est finalement eux qui créent la situation sociale, c'est ça le laboratoire social.
Le chercheur n'est pas là en train de poser une grille analytique sur un objet, c'est l'objet qui, en situation, nous convoque, nous missionne quelque part.
Après ça pose d'autres engagements qui sont discutés plutôt dans l'atelier 4, évidemment on n'est pas missionnés par l'institution, comment on trouve l'argent et les moyens de travailler, c'est une autre question très compliquée… C'est le principe du labo social.
Ce labo social, qu'on a appelé en l'occurrence pour les récupérateurs vendeurs « Rues marchandes », ce qui est une manière de dire que c'est un écosystème, c'est aussi une manière de pas stigmatiser les gens en situation de pauvreté, mais que bien effectivement ils créent une économie et ces acteurs sont appelés eux-mêmes « biffins » dans les luttes de reconnaissance de leur marché dans l'espace public. On parlait de la question : est-ce qu'il faut s'appeler « pauvres », « pas pauvres », là c'est eux qui ont repris un énoncé, ils ne se sont pas appelés chiffonniers parce que c'était marqué historiquement pour inscrire leur lutte d'un point de vue politique. Ce labo social, Rues marchandes, il naît du constat des difficultés et échecs à la fois des études classiques. Moi j'ai répondu avant à une étude très classique, anthropologique (Je suis de formation socio-anthropologue), une étude sur les biffins à partir des récits de vie, étude que j'ai rendue à la région Île-de-France. Et cette étude a été ensuite enfermée dans un placard et même si elle a servi à produire de la connaissance, on n'a pas atteint notre but qui était à un moment donné de faire reconnaître, légitimer justement les compétences de ces acteurs.
Donc d'un côté les études classiques n'ont pas abouti à des transformations sociales bien que légitimées par l'institution, et de l'autre côté la lutte des biffins qui développent une compétence, se heurte aussi à des politiques qui n'arrivent pas à prendre en compte cette dimension de l'économie populaire dans l'espace public. C'est dire qu'il n'y a pas de transversalité politique, il y a une sectorisation politique, alors soit ce sont des pauvres donc il faut les insérer, soit ce sont des délinquants donc on envoie la police, ça fonctionne comme çà dans des dispositifs techniciens.
Les seules réponses qu'on leur a apportées, ce sont les entreprises d'insertion, d'accompagnement social de type Emmaüs qui font un boulot intéressant mais qui ne sont pas obligatoirement la réponse adaptée à ce phénomène économique.
Trois types de savoirs
D’un côté on constate des savoirs dont on parlait ce matin qui sont des savoirs pragmatiques c'est-à-dire des savoirs issus de l'expérience, de la recherche intuitive c'est le cas des biffins : dans ce cas on teste, on voit ce qui marche ou qui marche pas, on construit une connaissance à partir de cela sans obligatoirement chercher à généraliser pour répondre à un besoin pratique. Ce savoir-là, cette compétence-là n'est pas validée.
Mais d'un autre côté, on s'aperçoit aussi que le savoir scientifique bien que se parant effectivement de la méthodologie de la recherche par exemple anthropologique, n'est pas obligatoirement non plus validé par le politique.
Et quant au troisième savoir qui est le savoir professionnel que moi j'appelle aussi le savoir technicien, par exemple le savoir des travailleurs sociaux, des gens d'accompagnement de l'insertion sociale, on constate que lui-même se heurte à une logique institutionnelle et professionnelle selon laquelle on leur demande d'insérer des gens qui n'ont pas obligatoirement envie de rentrer dans cette case d'insertion puisque eux-mêmes créent les propres réponses économiques à leurs problèmes. Le problème n’est donc pas obligatoirement de les insérer mais de prendre en compte une dynamique collective.
Vous voyez que les types de savoir pris séparément c'est-à-dire le savoir pragmatique, le savoir technicien et le savoir scientifique sont un moment donné invalidés même s’ils produisent un savoir et des compétences.
L’hybridation
Donc notre logique du labo social c'est de dire justement et cela a été énoncé ce matin, c'est comment un moment donné ces savoirs non seulement peuvent se rencontrer parce qu'ils se croisent, c'est l'hybridation, mais peuvent ne pas se reconnaître ou être en conflit de légitimité. Le savoir technicien va dire bon moi je sais faire de l'insertion, alors je fais ça. Le savoir scientifique va dire : je produis de la connaissance, des constats, des généralisations je fais ça et va même peut-être voir un savoir d'expérience un savoir d'expertise, un savoir pragmatique né de l'expérience de la rue, comme une forme d'atteinte à sa légitimité par exemple etc. ATD Quart Monde le fait depuis plus de 50 ans. C'est un responsable de Médecins du Monde qui travaille tant dans les squats que dans les foyers d'urgence qui a la meilleure connaissance des problèmes de santé de la rue parce qu'effectivement les gens qui vivent dans la rue ce sont eux qui sont détenteurs de ce savoir là. Donc on voit que ces savoirs là se croisent mais ne s'hybrident pas obligatoirement.
Les questions posées par les conditions de l'hybridation, représentent des enjeux à la fois épistémologiques, méthodologiques et éthiques. Quelle est la posture dans laquelle se tient l’individu, une posture individuelle existentielle impliquée ou professionnelle, c'est une question qui se pose au quotidien.
Par exemple aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, il y a une mobilisation internationale avec les récupérateurs vendeurs, ils sont en train de manifester devant la mairie de Paris, je pourrais aussi y être. Pourquoi je fais ce choix d'être là et pas avec les récupérateurs vendeurs qui revendiquent devant la mairie de Paris ? Là aussi il y a des choix qui se posent en termes d'éthique et d'implication. Est-ce qu'on privilégie la posture du chercheur impliqué, est-ce qu'on privilégie une posture existentielle, est-ce qu’on privilégie une posture professionnelle ou est-ce qu'on cherche une hybridation ? C'est la question que je pose à propos de ces différentes postures. Et quand je dis par rapport aux chercheurs professionnels, je renvoie aussi aux biffins. Les biffins ne sont pas uniquement des gens qui sont en train de revendiquer devant la mairie de Paris, ce sont aussi des gens qui produisent une capacité d'analyse. Quel espace on leur offre pour privilégier une autre posture qu’uniquement la posture revendicative ? C'est pareil dans les mouvements sociaux comment sont-ils capables de poser des connaissances sur l'économie populaire ?
Françoise Ferrand : Dans la salle, on vient d'horizons très divers et il y a des mots qui sont un peu des mots-clés et qui risquent de ne pas être compris et c'est dommage après pour la suite des débats. Est-ce que tu peux expliquer le mot hybridation des savoirs ?
Hugues Bazin :C'est un peu compliqué parce que c'est justement le but de ce que j'essaie de développer. Par exemple on pourrait dire « il y a une couleur noire et blanche et hybridation ce serait une couleur entre noir et blanc avec des nuances de gris, une posture ni formelle noire, ni formelle blanche, et qui à un moment donné est une posture médiane » et c'est là où les choses se compliquent parce qu'à partir du moment où on est médian et qu'on est dans cette interstice, on n'est reconnu ni par le blanc, ni par le noir et donc comment on fait justement pour valider cette posture hybride ?
C'est tout le problème et j'ai envie de dire cela s'appelle passeur de frontière et en sociologie on parle de marginale séquence. ATD Quart Monde en est un exemple entre des formes différentes qui sont justement entre la recherche, l’implication militante, le savoir pragmatique, etc. Comment valide t-on ces formes hybrides ? En tout cas, moi ma position que je mets au débat est qu'il n'y a pas une posture formelle, elle change en fonction des situations. A un moment donné on est plus chercheur, à un moment donné on est plus acteur, il n'y a pas une posture qui pourrait se fixer de manière formelle mais c'est en fonction des situations. Parfois je me retrouve impliqué dans une forme militante, ce qui d'un point de vue académique peut être une hérésie car le chercheur ne devrait pas s'impliquer, et d'un autre côté je me retrouve dans une posture réflexive c'est-à-dire que j'essaye de comprendre ce qui se trame dans ce travail-là avec les acteurs, etc.
Et c'est ça la recherche action, on invite les acteurs à ne pas être dans la même posture, non pas seulement des acteurs mais les inviter aussi à cette hybridation c'est-à-dire pas uniquement dans une posture militante, et pareil pour les travailleurs sociaux ne pas être pas uniquement dans une posture efficiente et c'est le problème des techniciens qui vont chercher l'efficacité au niveau de dire tout de suite : à quoi ça sert et comment produire de l'insertion ?
Donc on le voit, ce travail d'hybridation c'est un travail au quotidien, ce n’est pas quelque chose qui est acquis mais qui est remis sur l'établi chaque jour et c'est en fonction des situations concrètes effectivement qu'on interroge cette forme hybride et c'est pareil pour les fonctions de ce que nous on appelle ce labo social, en gros c'est bien de produire de la connaissance, du savoir mais à quoi cela va-t-il servir ?
Les fonctions de la production de connaissances
C'est une autre question à la fois éthique, méthodologique et épistémologique : j'ai essayé de décrire les conditions de la production de connaissances et après, à quoi va servir cette connaissance. C'est toute la question des fonctions qui, à mon avis, ne sont pas séparables :
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Il y a une fonction descriptive c'est-à-dire qui consiste à décrire des situations sociales qu'on rencontre. Par exemple, nous, nous avons créé un pôle de ressources, un site internet pour décrire la situation des biffins, leur lutte etc. et donc c'est important de faire ce travail descriptif qu'on ne retrouve pas seulement dans les sciences sociales, c'est aussi le boulot de journaliste de journal quotidien. La culture numérique d'ailleurs permet aussi un moment donné de capter et de faire ce travail de retranscription du quotidien d'une manière beaucoup plus intéressante, efficace, de travailler en réseau.
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Il y a une fonction qu'on pourrait appeler performative, il y a bien le mot performance dedans, c'est-à-dire cette connaissance qui doit directement contribuer à provoquer une transformation sociale, mais attention, chaque fonction a sa dérive. Attention à la logique technicienne qui voudrait uniquement résoudre les problèmes sans que les acteurs à un moment donné maîtrisent le processus. Mais qu'est-ce que c'est une recherche qui à un moment donné n'a pas un impact ? Je parlais de ce rapport de recherche qu'on avait enterré politiquement. A un moment donné, comment donner des outils, co-construire des outils qui amènent les acteurs à être eux-mêmes agents de cette transformation ?
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Et puis il y a une fonction qu'on appelle en sciences sociales « cognitive » qui veut dire en fait comment cette connaissance permet de dégager à un moment donné une compréhension de ce qui se passe dans la société ? C'est-à-dire qu'à un moment donné il faut qu'il y ait une réponse politique au sens large du terme.
Il faut qu'à un moment donné, ces luttes, cette connaissance soient intégrées aussi dans des dispositifs et pour cela il faut amener les décideurs, les opérateurs à changer leur grille d'analyse.
Et ça c'est peut-être le travail le plus compliqué quand on travaille avec des acteurs en situation de pauvreté parce qu'on a à faire à des préjugés, des parcours de professionnels qui vous formatent et qui amènent, on le voit au niveau des politiques publiques, par exemple la politique de la ville, ce qui se passe dans les quartiers populaires depuis 40 ans en France, lon peut s'interroger effectivement sur comment d'autres grilles peuvent être mises en place pour comprendre comment relever ce défi du développement des territoires ?
C'est pour cela qu'on a amené la notion d'économie populaire. C'est une dimension qui est très développée en Amérique du Sud notamment en Argentine, qui est très peu développée en France. On va parler en France d'économie sociale et solidaire, c'est déjà rentrer dans le champ institutionnel. On est dans le champ des réponses qui viennent du haut, tandis que l'économie populaire c'est une réponse qui vient du bas. Et comment à un moment donné on va valider, c'est là tout le travail.
La dimension instituante
Et je termine, désolé d'être un peu long, sur une troisième dimension, qui à mon avis doit être un des enjeux forts de cette forme hybride que moi j'appelle instituant. Instituant cela a rapport avec l'institué, c'est-à-dire à un moment donné comment ce groupe de travail, qu'ils soient acteurs, chercheurs, techniciens créent leurs propres références de travail, leurs propres références de production de connaissances de manière autonome, indépendamment des formes normatives qu'on leur impose, pour répondre à telle question sociale, à tel problème ou à telle forme de connaissance ?
Si je prends l'expérience du travail social qui est dès le départ très sectorisé, mais la recherche universitaire elle aussi est disciplinaire, la sociologie, la psychologie, l'économie, etc., on sait très bien, pour les gens qui travaillent sur les situations sociales qui par définition sont complexes, qu’on ne peut pas découper les individus de façon soit sectorielle, soit disciplinaire.
Cette forme instituante qui est un des enjeux je pense aussi de cette rencontre aujourd'hui va interroger, et là ça devient très compliqué, va interroger nos appartenances.
Quand on devient chercheur acteur, je l'ai vécu quand j'étais travailleur social, à un moment donné on te dit que tu n'es plus un bon technicien. Toi, tu es là pour insérer les gens, tu n'es pas là pour produire des connaissances sur ta pratique. Donc quand tu commences à devenir chercheur dans ta propre profession et qu'on est dans une forme hybride et donc instituante, ce n'est pas une mission qui vient de l'institution, vous rentrez en conflit à un moment donné avec l'institution. Il y a une forme conflictuelle dans la forme hybride.
Je vais m'arrêter là peut-être.
Françoise Ferrand : Il y a déjà de ce qu'on a entendu ce matin, il y a l'introduction que vient de faire Hugues, maintenant il vous est demandé à chacun d'essayer de dégager des conditions qui vous semblent absolument prioritaires pour réaliser des recherches participatives en croisement des savoirs. À quelle condition, d'après vous, on peut entreprendre, on peut essayer d'entreprendre une recherche participative en croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté ? Avec d'autres aussi évidemment. Mais où il y a effectivement des personnes en situation de pauvreté. À quelles conditions ? C'est notre travail de cet après-midi.
Et en même temps, cette deuxième question, suite à ce colloque, comment vous voyez ce qui pourrait se passer pour encourager ce démarrage réellement de recherches participatives en croisement des savoirs, comment on pourrait continuer après ce colloque?
Hugues Bazin : Comment imaginer un espace collaboratif instituant ?
Françoise Ferrand : Pour qu'on puisse ouvrir les débats, il faut prendre un temps où on peut se parler entre pairs pour que chacun puisse rentrer dans le débat après. On va revenir en plénière après et on pourra débattre.
X : Vous dites : quelles sont les conditions éthiques et méthodologiques, c'est quoi l'éthique ? Qu'est-ce qu'on veut dire par conditions éthiques. Moi je dirais simplement que dans la tradition anglo-saxonne, l'éthique ça contient des valeurs, des principes.
Françoise Ferrand : Oui, conditions éthiques et méthodologiques.
(Petits groupes)
Retour des petits groupes en plénière
Pascal Marty (CNRS): Juste quelques mots. Je trouve très stimulante l'introduction et comme je disais à mes camarades ici tout à l'heure, cela me rappelle beaucoup un vieil article en 1969 qui posait la question de la participation comme étant aussi une question de répartition du pouvoir ou d'asymétrie du pouvoir entre des personnes qui sont chargées de faire la recherche pour une autorité et des personnes qui sont les objets de cette recherche. Et l'une des conclusions que moi je tire de ce très bel article qui est toujours valide aujourd'hui à une cinquantaine d'années, c'est qu'il est nécessaire pour que ces recherches participatives soient valides et riches, de pouvoir rétablir une asymétrie entre des gens dont la recherche est le métier et des gens dont la vie produit de très très bonnes connaissances. Donc comment le faire ? Peut-être d'abord pour certains chercheurs en acceptant de négocier son agenda de recherche ou son programme de recherche avec des gens qu'on estime pertinents pour mener un travail avec. Donc, ne pas oublier que dans les rapports de sens il y a aussi des rapports de pouvoir qui se jouent. Et si on espère aller vers l'utilisation de la recherche scientifique pour la remédiation de certaines situations sociales difficiles, il est important aussi que les personnes auprès desquelles on prend l'information, on puisse aussi leur conférer le pouvoir de mettre en œuvre certaines solutions.
Blandine Destremau : Je suis sociologue au CNRS et je suis dans un laboratoire qui s'appelle IRIS. Je vais juste dire quelques éléments qu'on a discutés avec ma voisine de gauche. On n'a pas essayé de recenser toutes les conditions mais déjà, les conditions qu'on estime devoir exister pour une recherche participative, ça dépend ce qu'on appelle participation. Parce que tout et n'importe quoi se qualifie de participation.
Moi je suis dans le champ qu'on qualifie du développement et dans le développement il y a de la participation partout sauf qu'il n'y en a pas beaucoup quand même. Il y a la participation assignée, la participation asymétrique, il y a des participations symboliques… au point où il y a même de l'ambiguïté sur le terme de participation que les gens comprennent qu'il faut qu'ils payent, donc la participation ça veut dire : tu dois payer. Donc il y a beaucoup d'us et d'abus du terme participation et les conditions dépendent de ce qu'on met comme objectifs et comme formalités.
Une autre condition, parce que j'ai eu des discussions avec Xavier et aussi avec des collègues, il faut peut-être aussi réfléchir : existe-t-il différents types de savoir ? C'est quelque chose qui ne va pas du tout de soi. Donc participer pourquoi et à partir d'où si on ne pense pas qu'il existe différents types de savoir ? On peut encore participer mais on participe en tant que sujet donc cela a un sens politique de participer parce que les gens devraient être inclus ou avoir un rôle. Là on parle de relations de pouvoir mais pas forcément de participer à partir d'un porteur de savoir. C'est ce qu'on discutait aussi ce matin. On peut participer parce qu'il faut qu'il y ait des femmes donc on va participer. Mais on ne suppose pas forcément qu'en tant que femme je sois porteuse d'un certain type de savoir donc c'est un peu différent de participer pour contribuer à un savoir et être citoyen.
Ensuite, moi dans ma carrière je ne pense pas que je fasse de la recherche participative, je ne sais pas très bien si la participation que je mets en œuvre moi-même et que je fais mettre en œuvre, produit la recherche ou si je fais la recherche..., je ne sais pas où est la frontière, quelle est l'articulation ?
En tout cas ce que je sais c'est qu'au sein du CNRS, les sciences sociales, il y a un prix très très très fort à payer pour faire ce type de recherches. C'est-à-dire qu'il y a une lutte de pouvoir, de disqualification. Mon précédent laboratoire, c'était une lutte à mort en terme de mort symbolique, de mort de reconnaissance, de disqualification de l'autre, pour dévaloriser tout ce qui pouvait ressembler à de la recherche-action et le summum et le top du top en sociologie étant la philosophie la plus pure. La sociologie étant enfant de la philosophie dans les cursus français, plus on est dans l'abstraction et la philosophie et plus on fait de la bonne sociologie. Le mieux c'est le normalien en philo, il sera le meilleur sociologue du monde, c'est aussi la grande ancestralité de Bourdieu et Cie...
Du coup, la recherche action c'est vraiment la fange de la sociologie. Au mieux on vous considère comme des conseillers du prince, en payant on ne sait de quelle façon la place auprès du prince et au pire vous pouvez traîner avec les pauvres peut-être...
Maintenant je suis à HESS, c'est beaucoup plus admis, beaucoup plus valorisé, et je suis bien dans un espace comme ça mais c'est un prix lourd à payer.
Une autre chose que je discutais avec Xavier Godinot parce que je me suis rendu compte ce matin qu'en fait mon réflexe, ce qui me venait à l'esprit en écoutant ce qui était dit, c'était sur la lenteur. Alors ce n’est pas le temps comme durée mais le temps comme rythme parce que je travaille pas mal avec les communautés d'Emmaüs et ça prend du temps. Par exemple j'ai organisé des tables rondes pour l'anniversaire des 10 ans de la mort d'Abbé Pierre, c'est vrai qu’il faut accepter cette lenteur. C'est pas seulement la durée parce que c'est compliqué, il faut se mettre d'accord, c'est hétérogène... c'est juste parce que ça va pas forcément très vite, les gens viennent, viennent pas, on n'a pas les mêmes cultures, ça aussi c'est vraiment une condition.
Jean Maurice Verdier : J’ai participé à la recherche Quart Monde-Université, juriste, ancien président de l'Université de Nanterre : un ancien président d'université c'est forcément un handicapé... Je n'ai pas grand-chose à vous dire, simplement quelque chose de très banal et ordinaire que j'ai tiré de ma participation pendant deux ans à la recherche Quart Monde - Université.
La condition de base, c'est de partir avec l'idée que les pauvres ont un savoir sinon ce n'est pas la peine, je n'insiste pas. Reconnaître le savoir des pauvres.
Admettre qu'on va les rencontrer dans une situation qu'on essaye égalitaire. Ce n’est pas tellement simple au départ. Je vous donne un exemple : probablement que nous avions peur nous les universitaires qui participions à la recherche, de dominer les représentants des pauvres, à tel point qu'à un moment ils nous ont dit : « faites des propositions, vous ne proposez rien ». On n'osait pas intervenir, on avait peur de les dominer. Il faut se mettre effectivement dans une situation d'égalité, je crois que l'idée fondamentale est l'idée de partenariat et cela tout au long de la recherche qu'on va faire.
Le choix du sujet. Nous, universitaires, avons formulé des sujets. Finalement, on a adopté un sujet de recherche proposé par les représentants des pauvres, « les savoir-faire des pauvres », c'est ce qu'on avait retenu dans mon groupe. Dans l'information qu'on va rechercher, par exemple dans les interviews auxquelles nous procédions, je ne prends qu'un exemple, très souvent les représentants des pauvres qui étaient là nous disaient « tel que vous formulez votre question, le très pauvre il ne la comprend pas ». Donc ils nous ont aidé à les formuler autrement, et, inversement, quant à nous, assez souvent les réponses dans les interviews des très pauvres, c'était les très pauvres qui nous éclairaient en disant : « voilà ce qu'ils ont voulu dire ».
Évidemment, dans la construction des mémoires de recherche, dans l'expression, là aussi on se partageait le travail et moi on m'a fait revoir plusieurs fois ma copie parce que je croyais bien exprimer ce que nous voulions exprimer et en fait j'exprimais ce que, en tant qu'universitaire, je tirais de nos discussions, de nos rencontres. Donc, on m'a fait revoir ma copie plusieurs fois. Mais, d'un autre côté aussi quand même, il faut que les universitaires maintiennent leurs exigences de chercheurs, la rigueur, ne pas affirmer quelque chose comme certain alors que ça n'est pas prouvé, ce que parfois les représentants des pauvres faisaient. Ce sont quelques conditions, c'est très banal...
Christian Barot : Bonjour, je suis militant ATD Quart Monde. Je vais repartir sur ce que disait Madame sur le temps. Le temps est très important. Moi j'ai participé à plusieurs co-formations, on a toujours été pris par le temps. Je vais reprendre un petit peu ce qui s'est passé ce matin avec le coup du sablier (pendant la table ronde). On a tant de temps pour parler et quand on a tant de temps pour parler, c'est très compliqué de dire ce qu'on envie de dire parce que des fois on a envie de dire beaucoup de choses et c'est très peu pour nous et on a tellement de choses à dire et à vous faire comprendre que le temps c'est de l'argent si je peux dire. Les co-formations sont toujours trop courtes il y a toujours trop de choses qui sont enlevées parce qu'on n'a pas le temps, on perd du temps dans des discussions, et du coup, au lieu de durer trois jours, ça devrait durer trois semaines. Je sais que c'est énorme, ça a un coût pour l'argent, pour pas mal de choses. Mais il y a un manque de temps en beaucoup de choses.
Marc Couillard : J'ai participé avec Jean-Maurice Verdier et Ides Nicaise à Quart Monde-Université. Je voudrais simplement montrer le document qu'on a écrit en final avec d'autres militants et des chercheurs universitaires (Le livre « Le croisement des savoirs ») et par rapport à ce que disait Mr Hugues Bazin, il y a tout un chapitre sur les biffins, les récupérateurs parce qu'on a été interviewer des personnes de chez nous, des personnes très pauvres qui faisaient de la récupération, avec aussi toute une analyse : ça voulait dire quoi ? Quand on fait de la récupération maintenant en Belgique, vous pouvez avoir une amende et c'est interdit de récupérer la ferraille. Donc on leur a volé leur métier, leur savoir-faire. Je conseille ce livre, j'en suis très fier, on en est très fiers.
Et par rapport au temps, je voulais quand même dire que Quart Monde - Université ça nous a pris deux ans. Deux ans de travail et sans compter le temps qu'il y a eu avant pour préparer. Mais pour nous, ça nous a pris deux ans et on travaillait trois jours par semaine, plus les jours de séminaire. On a vraiment pris le temps pour cette recherche et on a pris le temps aussi de permettre aux gens de s'exprimer parce que nous, pour dire ce qu'on veut dire, ça prend toujours du temps.
Alors pour moi quelque chose qui est essentiel si on veut réussir un travail comme ça, c'est au niveau de l'animation. On ne peut pas nous laisser seuls avec des chercheurs, on l'a bien vu ce matin. Nous on n'a pas les mots, donc on ne comprend pas tout ce qui se dit et les universitaires et chercheurs ils ont les mots et donc ils se comprennent. Mais nous, bien souvent, on ne comprend pas. Et donc, il nous faut quelqu'un qui nous soutient, qui nous connaît, en qui on a confiance, qui sait de quoi on parle quand on parle de pauvreté. Pas quelqu'un qui va dire : il faut dire ça et ça, mais quelqu'un qui va nous aider à dire ce qu'on a envie de dire. Les universitaires ils sont là (en hauteur) et nous on est là (en bas). Quel chemin on va faire pour essayer de se comprendre de se parler ? Et ça c'est le rôle de l'animateur. Si on n'a pas un animateur qui nous aide, on ne peut jamais faire un travail comme ça. Le rôle de l'animateur est essentiel. C'est pas quelqu'un de neutre, on ne peut pas dire c'est quelqu'un de neutre. Il nous soutient vraiment pour qu'on arrive à se parler et ce n’est pas évident. Avec Jean Maurice des fois ou avec Ides des fois, c'était très tendu. Et si l'animateur n'était pas là…
Françoise Ferrand : C'est une co-animation, comme on l'a présenté ce matin. Je me permets de le préciser. Ce n'est pas la même personne qui peut à la fois animer, c'est notre expérience, vous avez peut-être d'autres expériences, ce n'est pas la même personne qui peut à la fois animer le groupe de personnes en situation de pauvreté pour qu'ils puissent vraiment exprimer ce qu'ils portent en eux et le groupe de chercheurs pour qu'ils puissent vraiment jouer leur rôle de scientifiques. Il faut que chacun joue son rôle, c'est vraiment une co-animation avec des référents de différents milieux qui s'investissent en croisement des savoirs.
Marc Couillard : Je me souviens, au début les militants, ils avaient un animateur qui était avec nous et les universitaires, ils étaient tout seuls et ils ont dit : « ce n’est pas normal, nous on est un peu seuls » et c'est là qu'ils ont commencé à avoir un animateur.
Françoise Ferrand : Parce que ce n'était pas plus facile pour les universitaires entre eux venant de différentes disciplines.
Cathy Bousquet : Je suis responsable de formation en travail social et chercheur en travail social. Je voudrais parler de la question de recherche que, à d'autres moments, on a nommé la question du sujet. Moi je le mets comme préalable, comme point de départ, plutôt que la question de la participation. Parce que c'est parce que la question de recherche, elle va être co-portée qu'on va se mettre autour de cette question et du coup pour moi une condition, c'est la taille de cette question et de se réapproprier ce qui peut paraître un petit sujet ou quelque chose entre guillemets de pas très grande importance, c'est ça qui va permettre qu'on va voir d'emblée la dimension politique de la recherche, et du coup je suis persuadée, on va pouvoir associer à la question l'idée de sa transformation. Sinon, si on prend des sujets vastes, ça nous échappe et ça peut paraître d'autant plus inaccessible.
Régis Maubrey (de Greenway international) : Je voudrais réagir à ce que tu disais Françoise. Si j'ai bien compris ce que vous disiez, c'est que chaque groupe de chercheurs, les universitaires, les biffins par exemple, avait besoin chacun de leur animateur pour traduire leur langage.
Françoise Ferrand : Non, non, je n'ai jamais rien traduit.
Régis Maubrey : C'est ce que j'avais compris de ce que Marc disait
Françoise Ferrand : Marc tu as parlé que je traduisais ton langage ?
Marc Couillard : Non
Régis Maubrey : Que chaque groupe soit représenté par un animateur
Françoise Ferrand : Non, pas représenté !
Régis Maubrey : Pardon ! Animation, animé pas représenté. L'animateur ne représente pas, il anime, pardon !Pour chacun de ces binômes, l'animateur et leur groupe, on peut dire ça, l’animateur et le groupe de biffins, l'animateur et le groupe de chercheurs, on peut dire comme ça ?J'essaie d'être très pratique, moi je suis praticien, j'essaie de comprendre ce que vous dites.
Maria Théron : En fait il est important que dans un groupe de travail comme ça, il y ait un animateur. Un animateur spécifique pour les militants, quelqu'un qui vient du Mouvement. Mais on ne peut pas avoir le même animateur à la fois pour les militants et pour épauler les professionnels. Et pour le coup, on se dit que c'est important aussi qu'on travaille séparément.
Régis Maubrey : D'accord. Est-ce qu'à un moment, ces deux groupes et leurs animateurs respectifs se rencontrent ?
Françoise Ferrand : La première rencontre c'est d'abord au sein de l'équipe de co-animation, c'est un lieu de croisement extraordinaire. Dans les différentes recherches qu'on a menées et dans celles qui sont en train de se mener, l'équipe de coordination est composée d’un référent universitaire, d’un référent professionnel et d’un référent du milieu de la pauvreté. C'est un premier lieu de croisement.
Régis Maubrey : Quand tu dis référents, ce sont les animateurs ?
Françoise Ferrand : Oui. Moi je ne pourrais jamais m'improviser référente pour les universitaires, je ne suis pas universitaire. C'est pareil pour les professionnels, il faut un référent professionnel. Cette équipe qu'on appelle équipe de coordination, équipe de co-animation ou équipe pédagogique pour la recherche, c'est un lieu de croisement essentiel qui va faire que les groupes vont pouvoir travailler. J'étais avec le groupe des militants qui continuaient à avoir des vies très compliquées, très dures, mais ils étaient sûrs que j'allais préserver leur jardin secret. Que j'allais préserver leur vie. Que ça resterait entre nous. Ça ne regardait pas la recherche, vous comprenez ? Donc il y a ce lieu de croisement qui est l'équipe de co-animation, qui est le pilier de tout le reste.
Régis Maubrey : D'accord, donc il n'y a pas vraiment besoin d'avoir des rencontres de ces groupes respectifs avec leurs animateurs ensemble ?
Françoise Ferrand :Si ! Après, ce sont les temps de plénière où les acteurs croisent leurs données et analyses concernant la recherche qu'ils mènent.
Régis Maubrey : D'accord. Ma dernière question et après je passerai la parole à mon collègue. Hugues, qu'est-ce que tu penses de cette idée : est ce que l'hybridation est toujours possible ?
Hugues Bazin : On a eu une discussion parce que Françoise m'interpellait et on s'est aperçu qu'on ne mettait pas du tout la même définition derrière le mot hybridation, comme quoi les mots, quel que soit le milieu d'ailleurs, il faut les travailler, c'est des outils. Pour nous il n'y a pas de mots profanes ou de mots savants, il y a des mots qui servent à comprendre ce qu'on vit, qui nous aident à s'émanciper, à se libérer. Après, nous on lâche des mots, s'ils ne sont pas utilisés, on en trouve d'autres.
Alors, sur l'hybridation, pour que les choses soient plus claires, parce que Françoise me disait mais si le travailleur social devient acteur social ou veut se faire copain avec les gens qu'il rencontre, il perd son identité. Alors pour moi, ce n’est pas du tout ça. Un chercheur dans une position de recherche-action reste toujours un chercheur, mais le fait qu'il se confronte à une situation collective l'amène à faire un travail réflexif sur sa propre pratique, donc il s'interroge en tant que chercheur et du coup il est autre chose que simplement chercheur, il est aussi acteur par exemple dans sa structure universitaire s'il est universitaire. Et pareil pour l'acteur, il n'est pas uniquement cantonné à l’acteur social.
Après il y a des dispositifs différents, ce qu'on développe avec les biffins, ce n’est pas tout à fait le même dispositif que ATD Quart Monde, ça n'est pas très éloigné non plus.
Il y a par exemple des ateliers d'écriture. Les mots sont vraiment un pouvoir, surtout en France où l'utilisation de l'écrit, donc les formes de validation des savoirs passe aussi par l'écrit, mais il y a des tas de validations qui ne sont pas forcément des diplômes. Par exemple, nous, on a appelé ça : « le guide des indigènes de la ville », c'est un peu une référence subversive avec l'époque néocoloniale, de dire que ceux qui connaissent la ville, ce sont ceux qui la vivent, les biffins, etc. On fait un contre guide culturel, comme il y a un guide touristique pour visiter Paris. On peut faire un contre guide pour visiter des espaces que justement les gens ne connaissent pas. C'est une prise de pouvoir à partir des mots, donc c'est un travail d'écriture en atelier à partir de ce que chaque personne amène comme matériau. Ça peut être des entretiens enregistrés, ça peut être des images, ça peut être des objets et on construit quelque chose à partir de ça. Et à côté de ça, on a un partenariat avec la Maison des Sciences de l'Homme Paris-Nord où on invite les biffins. On a fait un forum en novembre dernier à partir de la parole des biffins où on invitait les chercheurs à venir en posture d'écoute, donc là on renversait la proposition et de dire : « vous chercheurs comment vous pouvez mettre votre compétence disponible auprès de cette parole pour trouver des réponses ? On vous apporte des matériaux ». Là ce n’est pas les chercheurs qui apportent des matériaux et des réponses par rapport à la situation des biffins, ils sont convoqués pour dire voilà comment ilsont envie de travailler à partir de ces matériaux. Donc il y a une forme de co-construction avec une forme de métissage, d'hybridation, ce qui est du point de vue académique complètement hérétique. Je veux bien le concevoir comme une forme d'hybridation de connaissances parce qu'on ne sait plus très bien si c'est une écriture de recherche ou pas, c'est une écriture mixte qui se construit à travers ça. Mais c'est ça de notre avis qui est porteur vraiment d'un enjeu politique.
Benoît Guillou : Docteur en sociologie (EHESS), ancien rédacteur en chef de la publication mensuelle d’Amnesty France, à présent responsable de la formation des bénévoles au Secours catholique – Caritas France. Personnellement, cette question me renvoie aux réflexions d'Hannah Arendt qui distingue la posture d’acteur et celle de narrateur. Cette distinction me paraît importante, par conséquent, la notion d'hybridité est-elle possible ? Que veut-on dire précisément ? L’acteur engagé dans une association est souvent dans le « faire », dans l’œil du cyclone face aux nombreuses sollicitations quotidiennes. Personnellement, je préfère l'idée de glissement d’une posture à l’autre, on peut prendre le temps de l’engagement puis chercher les conditions pour amorcer une analyse. Je n’oppose pas le travail empirique et le travail théorique, mais un des traits caractéristiques de l’ethnographie est de faire apparaître du terrain des réflexions sur la base d’une démarche inductive.
Par rapport aux conditions de cette démarche, il me semble important de mettre « cartes sur table » et de convoquer au préalable la notion d'intérêt de part et d’autre. Je ne réduis pas la vie sociale à des questions d'intérêt et aux rapports de force, mais une posture angélique ou irénique serait préjudiciable. Soyons cash : quels sont mes objectifs, mes contraintes, mes méthodes, mon rapport au temps et à la sphère politique ? Dans le cadre de mon enquête sur la vie après le génocide au Rwanda, j’ai mis en place un dispositif d’enquête qui consistait notamment à présenter auprès de mes principaux interlocuteurs mes postulats de départ. L’idée étant qu’un compromis est possible entre ma démarche et l’engagement des personnes impliquées sur le terrain.
Françoise Ferrand : Par exemple ? Postulat de départ ça veut dire quoi ?
Benoît Guillou: Au Rwanda, j’ai pris appui sur les méthodes de la sociologie pragmatique. Je me suis intéressé à la façon dont des acteurs, qu’il s’agisse des victimes ou des auteurs d’un massacre, s’emparent localement de la notion de pardon. J’ai pris le parti méthodologique de « suivre les acteurs » dans leur travail, de « prendre au sérieux » leur discours, et de suspendre provisoirement la critique. Si la sociologie pragmatique part d’un rejet de la position de surplomb qui pose une asymétrie entre un sociologue et les acteurs, mon travail a également consisté à distinguer et analyser différents dispositifs de pardon, reprenant alors une perspective critique. Je souhaitais adopter une démarche empirico - conceptuelle.
Jacqueline Steg : En parlant comme ça aux personnes, vous arrivez à être clair ??
Benoit Guillou : Vous avez parfaitement raison, pour engager cette démarche il faut du temps et effectuer un travail de « traduction ». En 2mn 30, mon jargon, y compris ici est laborieux ! Lorsque je parle d’une démarche empirico - conceptuelle, je veux dire que j’adopte en quelque sorte la démarche empirique du journaliste et la démarche conceptuelle du philosophe. Il s’agit d’assurer les deux. Au Rwanda, pour m’aider je parle de l’intelligence du cœur, de l’intelligence de la tête, mais aussi du ventre où se concentrent les peurs. J’utilise aussi un jeu de cartes postales pour initier les conversations…
Le croisement des savoirs est une aventure délicate mais potentiellement riche. A l’occasion de la publication de mon ouvrage, j’ai assuré de nombreuses conférences et interviews aussi bien dans le milieu académique, associatif ou religieux (j’ai consacré un blog à cette démarche, blogbenoitguillou.net/). C’est un peu de l’équilibrisme, mais l’idée d’une certaine manière était de sortir de l’entre soi et de confronter mes questions, ma méthode et les hypothèses que j’avance en présence de différents acteurs. En aucun cas je ne souhaitais rester dans l’enceinte d’un laboratoire. Développons les recherches participatives, la démarche de croisement des savoirs peut conduire à des transformations fécondes sur des sujets aussi importants que la pauvreté ou les conditions d’une cohabitation pacifique.
Ides Nicaise : Tout à l'heure quelqu'un a posé la question « qu'est-ce qu'on entend par éthique ? » et je pense qu'on parle de questions éthiques ici. J'aime bien l'expression « mettre les cartes sur table » et cette expression, tout le monde la comprend. Je travaille à l'université de Leuven, je suis économiste de formation, je travaille dans la recherche depuis bientôt 40 ans. J'ai aussi participé au projet Quart Monde - Université dont plusieurs autres participants ont déjà parlé tout à l'heure.
Ce qui m'a un peu interpellé ce matin pour ne pas dire dérangé, c'est qu'on parle tous de recherches participatives et qu'on a tous des idées différentes de ce que cela veut dire.
Je viens de terminer un papier encore dans le train, j'ai relu les conclusions où il est clair qu'il y a différents degrés de participation. Il y a la participation pour donner des informations, par exemple les chercheurs ont toujours besoin de données, d'informations, ils vont rencontrer les gens sur le terrain pour demander des informations, donc on essaye de plaire à ces gens, d'établir une relation de confiance pour que les informations soient fiables. C'est déjà une forme de participation.
Il y a la participation dans la négociation du thème comment on l'a exprimé pour le projet Quart Monde – Université. Nous avons vraiment passé six mois à négocier le thème pour arriver à un accord qui satisfasse chacun. Je pense que c'est très très important. Il y a la participation dans l'analyse et il y a finalement la participation dans les conclusions et dans la diffusion etc., donc la participation de A à Z. Et c'est ça que le croisement des savoirs vise à établir vraiment, à garantir en plus du croisement des savoirs en tant que tel.
Maintenant, je trouve très important qu'un chercheur réalise à chaque moment jusqu'où va son idée de participation. Et qu'on mette ça clairement sur la table dès le départ. Je pense que c'est un principe éthique.
Je voulais rebondir aussi sur la question du temps parce qu'elle a été mentionnée par plusieurs d'entre nous et ce matin on est passé un peu rapidement sur cette question.
Ce qui est clair c'est qu'il y a une exigence de temps en durée et comme le dit très bien Madame en lenteur, et il ne faut pas se faire d'illusions. Ce matin on a aussi interpellé les acteurs de Quart Monde - Université : « Est-ce que vous avez vraiment travaillé avec les plus pauvres ? » Moi en connaissant ou en me rappelant les militants qui ont participé au projet, beaucoup d'entre eux avait connu la pauvreté extrême. Je me souviens très bien du témoignage d'une des participantes, je pense qu'elle est décédée entre-temps, qui a connu la faim dans son jeune âge et qui pouvait décrire très en détails comment la faim lui faisait mal au corps, c'était une expérience très très physique de la faim. Donc pour dire que c'étaient des gens qui avaient connu la très grande pauvreté. D'ailleurs en termes d'espérance de vie on se rend compte déjà maintenant que beaucoup de ces militants sont déjà décédés, leur espérance de vie est bien plus courte que celle des académiques, ce qui montre les inégalités. Mais ces militants avaient eu la chance d'avoir un parcours assez long déjà dans le Mouvement (ATD Quart Monde). Et c'est ce parcours parfois commencé dès leur plus jeune âge qui leur a permis vraiment de participer pleinement à ce projet Quart Monde - Université.
Je ne pense pas que ce soit vraiment possible en partant de zéro avec des gens très très défavorisés. Il faut déjà avoir une certaine culture, une capacité de parole, une maîtrise de la lecture, etc. enfin il faut avoir des capacités pour participer à ça. Mais ce n'est pas ça qui invalide le processus ou la méthode, l'approche du croisement des savoirs. Les militants avaient constamment la préoccupation des plus pauvres derrière et allaient régulièrement rencontrer les plus pauvres dans leur quartier.
Pourquoi est-ce que c'est important ? Parce qu'il ne faut pas se leurrer qu'on peut transposer la méthodologie dans un contexte tout à fait nouveau. En tant que chercheur, on est tenté de refaire, de copier la méthode. Je suis actuellement dans un projet de recherche dans 13 lieux en Europe avec des équipes qui sont très expérimentées et d'autres équipes qui sont très jeunes et on voit très bien les énormes difficultés qu'ont les équipes jeunes parce qu'elles n'ont pas de partenariat avec des associations ou des partenariats encore très précoces, parce que les gens qu'elles vont rencontrer sur le terrain n'ont pas l'habitude de s'écouter, de rester calmes dans une réunion, parfois les jeunes sont violents etc. Il faut tout un parcours de préparation pour s'accoutumer à cette prise de parole.
La dimension temps est extrêmement importante. Il ne s'agit pas d'années, il s'agit de dizaines d'années. Cela ne veut pas dire qu'il faut se décourager, ne pas essayer. Il faut commencer quelque part avec les contraintes du moment. Quand on a des moyens pour faire une recherche de deux ans, on fait comme on peut, ce ne sera pas idéal mais on aura déjà au moins appris des deux côtés ou de trois côtés en restant fidèle à cette approche.
Je pense qu'après quelques dizaines d'années, on peut vraiment innover.
Dominique Paturel : Je suis chercheur à l'INRA dans un labo qui s'appelle Innovation. Je travaille sur l'accès à l'alimentation des familles à petit budget.
Ce que je voudrais dire, pour moi la question de la posture épistémologique des chercheurs est extrêmement importante et je suis d'accord que c'est cartes sur table qu'il faut la jouer, notamment pour un certain nombre de chercheurs qui sont sur les parcours hybrides pour reprendre la thématique de l'hybridation, c'est-à-dire qui ne sont pas forcément complètement issus de formation disciplinaire pure, qui ne sont pas forcément dans des rapports quotidiens avec la sociologie - parce que ça c'est aussi un vrai problème de choisir la sociologie comme unique discipline avec laquelle on travaille, dans la mesure où en plus la sociologie en France a une posture quand même de domination extrêmement puissante sur la question de la production des connaissances en sciences sociales. Ça c'est déjà un premier point.
Dans la façon dont moi je pose les questions, je ne fais pas de séparation entre la situation dans laquelle je suis pour travailler, ce pourquoi je suis payé, à savoir faire de la recherche sur ces questions d'accès à l'alimentation et ce que je vois. Il n'y a pas de séparation entre les deux. Et ça en termes d'épistémologie ça me donne une posture de recherche complètement différente.
La deuxième chose, c'est qu'on peut peut-être parler d'hybridation des savoirs, je trouve que c'est une piste que je comprends bien. Moi je suis dans un labo qui parle de coexistence. La piste de la coexistence des savoirs elle est peut-être plus pratique à prendre parce que du coup elle ne va pas obliger forcément à ce que ces savoirs se croisent, ils peuvent très bien être les uns à côté des autres.
Ce qu'on produit permet parfois de faire des choses ensemble, des fois ça ne permet pas de faire des choses ensemble, des fois c'est même mieux de ne pas faire des choses ensemble et du coup ça a un côté pratique de cet ordre là qui, en même temps, permet de respecter la place des différents acteurs là où ils sont.
Je pense que l'enjeu de la question des mots qu'on va utiliser est effectivement extrêmement important, ça prend sens et valeur pour chacun des groupes d'acteurs mais ça prend aussi sens finalement dans des postures politiques qu'on va pouvoir avoir ensemble à partir de ces questions.
Du côté des associations avec lesquelles on peut travailler sur ces questions, d'abord la première chose c'est que dans tout ce qui est dit depuis ce matin apparaît quand même une posture qui est extrêmement importante qui est celle de facilitateur, quelle que soit la façon dont on va l'appeler qui va permettre finalement des phénomènes de traduction entre la recherche et les différents groupes d'acteurs. Ces postures de facilitateur sont des postures aussi extrêmement importantes à comprendre et à voir parce que c'est aussi lié à la question du pouvoir, elles ne sont pas « piquées des hannetons » quand on les regarde de plus près. Pour travailler avec beaucoup d'associations de lutte contre la pauvreté, moi je vois bien aussi comment ces associations aujourd'hui ont intérêt à exister dans les arènes publiques sur ces questions de recherches participatives pour pouvoir continuer à exister.
On ne serait pas des méchants chercheurs d'un côté qui garderaient leur savoir pour eux et de l'autre côté des associations angéliques qui sauraient tout sur la question de la pauvreté. On voit bien que les questions sont plus compliquées que ça, que ce n'est pas aussi radical et qu'en tout cas à chaque fois qu'on se retrouve dans des postures binaires on peut se dire que la participation n'est pas au rendez-vous. Ça fait partie pour moi des indicateurs en tout cas.
Françoise Ferrand : Postures binaires, ça veut dire ?
Dominique Paturel : Postures binaires, ça veut dire que dès qu'on se retrouve dans une situation où il n'y a que des noirs et que des blancs on a un problème et la participation à mon avis elle n'est pas au rendez-vous à ce moment-là.
Après, ce que je voudrais dire aussi, c'est que, en permanence - c'est vrai que c'est ATD qui propose cette journée - on prend comme point de référence la question de la grande pauvreté. Bien sûr qu'il y a à travailler de ce côté-là, des choses à faire, c’est certain. Mais ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui on est dans une situation sociale où la précarité est extrêmement grande et du côté de la recherche, des chercheurs précaires il y en a plein. Il ne faut pas enlever aussi cette situation dans laquelle on est aujourd'hui. Moi je travaille par exemple sur les dispositifs d'aide alimentaire où on travaille avec des agriculteurs en situation de précarité forte qui vont aussi aux restos du cœur pour pouvoir manger et des gens qui vont dans les dispositifs d'aide alimentaire. Ce qui résonne dans ces groupes là, c'est le fait d'être dans la précarité et de façon commune. Il faut aussi se dire que dans ces enjeux de recherches participatives, on est sur des choses qui sont avec plus de couleurs que ce qu'on annonce depuis ce matin.
Et la dernière chose, moi je fais partie d'une association de recherche européenne qui travaille depuis plus de 10 ans sur la recherche participative, donc on a plus de 10 ans de publications sur ce sujet et ce que je constate encore une fois c'est que finalement des possibilités de croisement entre ces différents réseaux qui travaillent sur ces questions là depuis un certain moment, ça aussi ça n'est pas au rendez-vous.
Nina Dray : Je suis chercheuse à l'IRD, Institut de Recherche pour le Développement et je suis historienne des sciences et des techniques. Je travaille au Mexique sur les populations autochtones et paysannes et sur leur relation avec ??? En continuant sur ce qui vient d'être dit, je suis assez d'accord sur la diversité des personnes qui s'engagent, aussi bien les chercheurs, que les militants, dans cette préoccupation sur la participation de l'autre, celui qui n'a pas voix au chapitre, l'exclu dans la construction des savoirs. Si aujourd'hui on pose la question – Monsieur vient de dire que dans le monde de la recherche il y a des chercheurs qui sont marginalisés ou dans la précarité - il y a quand même une asymétrie parce que longtemps effectivement, la science a été considérée comme un savoir libérateur, et on a pointé les insuffisances de la science et de la technologie pour pouvoir répondre aux plus démunis peut-être.
Moi je veux bien travailler sur « les pays en voie de développement » mais je crois qu'on ne peut pas quand même nier que, dans la recherche coproduite ou participative, on met d'un côté des scientifiques qui viennent avec un savoir normé, codifié, un savoir fort et de l'autre des personnes dont le savoir repose sur l'expérience vécue, et que le savoir est l'expérience vécue. Donc il y a une asymétrie et il y a effectivement des questions qui se posent parce qu'il y a une asymétrie de fait.
Comment faire en sorte qu'on puisse travailler ensemble ? La mise en relation, je reprendrai le vocabulaire d’Édouard Glissant qui parle de mise en relation, de créolisation des savoirs et non pas d'hybridation qui naturalise un peu, qui oppose. D'un point de vue méthodologique, il y a effectivement des savoirs vécus, des savoirs codifiés et normés, et il y a des préliminaires à poser, cartes sur table. C'est la première fois qu'en France j'assiste à une réunion avec à la fois des associations et des chercheurs, c'est des choses que je fais plutôt en Amérique Latine. N'empêche que Madame(Jacqueline Steg) a réagi. Un scientifique est capable de faire un discours, d'écrire des articles dans des revues académiques, et aussi de dire : « je fais de la vulgarisation scientifique, je fais des restitutions », c'est ce que je fais avec les populations autochtones. Mais si on veut une symétrie complète, est-ce que les militants peuvent dans un congrès participer et proposer et que leur format de participation soit accepté ? Parce que se pose la question de la standardisation et des formats des discours avec lesquels on exprime les savoirs qui sont construits. On exprime souvent l'analyse des vies quotidiennes par les absences et les manques, pas par les propositions que peuvent faire les gens les plus vulnérables. Et moi je renvoie à l'excellent ouvrage de Richard Hoggart, aussi bien son autobiographie que son livre d'analyse à partir de sa propre expérience de « La culture du pauvre » qui a été traduite dans les années 70 par Jean-Claude Passeron. Il y a eu des travaux merveilleux je crois, il y a eu des expériences en Amérique Latine, Monsieur a cité l'économie populaire, je crois qu'on a beaucoup à apprendre des choses qui existent et quand je viens ici, j'ai l'impression que peut-être on ne s'appuie pas sur des expériences qui existent déjà, des choses qui sont bien avancées.
Françoise Ferrand :Il est déjà 4h et on doit bientôt terminer, je suis désolée. Ce colloque n'est pas une fin, c'est le début de quelque chose, donc toutes vos interventions comptent. Cet espace, ce groupe permanent, ce lieu qui peut permettre justement de tenir compte de ce qui se fait par les uns et les autres et de ce qui va se tenter de nouveau, c'est ça l'avenir. Ce colloque est une amorce de cet espace qui, à notre connaissance, n'existait pas. C'est ATD Quart Monde qui a initié cette démarche, mais il y a d'autres associations. Il n'y a pas de monopole. Pour ce colloque, on a invité très large au niveau associatif, certaines associations sont là. Au niveau des chercheurs, pareil, aussi bien au niveau du CNRS, du Cnam, des différents réseaux et labos. Ce colloque est une étape car comme vous le dites, le savoir vécu par les personnes en situation de pauvreté a encore peu de poids.
X : Il y a des étudiants qui sont en situation de pauvreté et leur savoir peut être plus reconnu que celui des agriculteurs. Ça se croise avec l'origine de classes, avec être un homme ou une femme, être d’une autre origine raciale ou pas, ça se croise avec d'autres choses. Du coup, si on se prive de cette hétérogénéité, moi je travaille avec Emmaüs même si j'ai travaillé avec ATD pendant plusieurs années, si on ne prend que le pauvre essentialisé ou la personne en situation de pauvreté typique qui sort de la rue, on la maintient là dedans alors que la pauvreté elle est beaucoup plus hétérogène finalement et il y a beaucoup de parcours différents dans la pauvreté aussi.
Lucienne Soulier : Je suis militante depuis un moment. Je voudrais surtout réagir à ce que j'ai entendu. C'est cette notion que la précarité elle touche tous les domaines. Je voudrais réagir à la chance que certains ont de pouvoir faire des études, de pouvoir suivre une scolarité alors que pour beaucoup d'entre nous ce n'est pas le cas. Je ne voudrais pas qu'on mette « précarité » parce que c'est généraliser. Non. Par contre l'extrême pauvreté, la grande pauvreté, oui.
Françoise Ferrand : Ce n'est pas exclusif, mais c'est notre point de départ.