Actes Colloque > Claire Hédon, présidente du Mouvement ATD Quart Monde

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs,

Cette rencontre représente pour le Mouvement ATD Quart Monde un grand espoir.Elle s'inscrit dans une longue histoire de collaboration scientifique, de recherche de construction de savoirs utiles à la destruction de la misère. Merci au CNRS de nous accueillir, de travailler avec nous. Merci également au Cnam.

Ce travail ensemble, avec des chercheurs, des scientifiques est indispensable pour lutter contre la pauvreté.

Il y a 15 jours au CESE, pour les 30 ans du rapport Wresinski « Grande pauvreté, précarité économique et sociale »le Président de la République a rappelé que ce rapport a fait date par les principes qu'il pose :

  • Il reconnaît la misère comme une violation des Droits de l’Homme,

  • Il montre la nécessité d’aborder le problème de la précarité dans sa globalité, à travers l'éducation, l'emploi, la santé, le logement, la culture...

  • Il précise qu’il n’y a pas un droit pour les pauvres et un droit pour les autres, mais le même droit pour tous,

  • Il considère que les personnes concernées doivent être consultées et associées aux politiques qui les concernent.

Tout le monde est aujourd’hui d’accord sur l’importance d’écouter les plus pauvres mais nous voulons aller plus loin, c’est-à-dire pas simplement les écouter, mais construire une pensée et un savoir ensemble. C’est bien l’objectif de notre colloque aujourd’hui.

Joseph Wresinski et le Mouvement qu'il a construitavec des familles très exclues sur tous les continents n'ont cessé de chercher à bâtir ce nouveau savoir. Savoir dont nos sociétés ont absolument besoin pour mettre fin à la misère. Lui même, issu de la grande pauvreté, avait particulièrement conscience de l’importance de ce savoir.

Dès 1959, il a créé un Institut de recherche et nous avons pu collaborer avec des scientifiques comme Jules Klanfer, Jean Labbens ou Christian Debuyst.

En 1996les premiers programmes expérimentaux de croisement des savoirs et des pratiques ont été créés. Cette démarche de recherche, action, formation s'est développée avec un réseau de chercheurs, de formateurs, de professionnels et de militants associatifs au sein du Réseau Wresinski Participation, Croisement des savoirs.

Depuis 2002, une centaine de co-formations ont eu lieu dans différents secteurs : la justice, la santé, la protection de l'enfance, la culture. Cela a permis un renouvellement des représentations, des pratiques professionnelles, des manières d'agir.

Par ailleurs de nouvelles recherches scientifiques ont été engagées sur la base de ce programme, comme celle qui débute sur les dimensions de la pauvreté avec l'Université d'Oxford.

Nous avons pu le faire tout d'abord parce que des personnes en situation de pauvreté ont accepté de prendre le risque de nouveaux dialogues, car elles étaient portées par l'espoir que cela apporterait un changement pour leur milieu. Certaines d'entre elles sont dans cette salle, et je salue leur détermination et leur contribution à toute cette démarche, tout en continuant à faire face à la vie difficile qui est la leur.

Cela a été possible aussi grâce à l'investissement de volontaires-permanents d'ATD QM qui sont investis au plus près des familles. Dont certains avec des cursus scientifiques et universitaires.

Aujourd'hui nous souhaitons avec vous franchir une nouvelle étape. Pourquoi ?

Les lieux de dialogue, de participation se multiplient, la question de la participation de tous est à l'ordre du jour de nombreux colloques et recherches, d'initiatives citoyennes et institutionnelles et c'est une bonne chose.

La question des points de vue dans la science, des savoirs situés, de la justice épistémique est débattue dans les colloques, dans les revues scientifiques. Il est devenu plus légitime qu'auparavant de s'interroger sur le fait de savoir qui a la parole, qui ne l'a pas encore ou trop peu, quelles voix sont réduites au silence.

Le défi qui nous rassemble c'est de prendre ces questions à la racine.

Les prendre à la racine c'est affirmer que pour bâtir des connaissances utiles pour une société sans misère, les savoirs de tous sont indispensables et complémentaires : savoirs des personnes en situation de pauvreté, savoirs des professionnels, savoirs académiques. Et c'est mettre en œuvre ce principe.

Ce défi, des institutions politiques s'en saisissent, comme le Conseil Économique, Social et Environnemental qui pour plusieurs de ses avis a souhaité avoir de vrais temps de travail avec des personnes en situation de pauvreté.

Tout cela reste fragile mais le sillon s'approfondit, la démocratie s'enrichit.

Une nouvelle connaissance est indispensable pour renouveler nos manières de comprendre et d'agir.

Surtout il est temps que les personnes marquées par la pauvreté et l'exclusion sociale puissent trouver des lieux où partager librement leurs questions, leur regard sur le monde, questionner les savoirs et contribuer à forger de nouvelles manières de voir, de nouvelles manières de faire.

Le monde scientifique peut faire un apport significatif à cet élan : il est urgent qu'un dispositif permanent lié à l'Université permette à des scientifiques, des professionnels et des personnes en situation de pauvreté engagées dans des associations de travailler ensemble pour co-construire de nouvelles connaissances.

Comment ? C’est un des objectifs de ce colloque.

 

Pour conclure, je voudrais citer un extrait de l'intervention à la Sorbonne, lors de la présentation du livre « Le croisement des savoirs » en 1999, de Jean-Marie Lefevre, décédé à l'âge de 48 ans :

« Vivre dans la misère ne veut pas dire être dépourvu d'intelligence, il est essentiel de crier très fort cela.

Trop souvent, on essaye de palier la pauvreté en mettant en place des réponses qui ne sont pas pensées, réfléchies avec ceux qui la subissent.

Trop souvent, on nous enferme en considérant que les pauvres ne souhaitent que le boire, le manger et un toit.

Et pourtant si l'on nous écoute, si l'on nous en donne les moyens comme cela a été fait durant ce programme Quart Monde-Université, le croisement des savoirs est possible, notre livre le prouve. »

Je vous remercie

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