Actes Colloque > Quelques points relevés des échanges dans les ateliers

 

 

Maria Teresa Pontois (CNRS) et Xavier Verzat (ATD Quart Monde)

Maria Teresa Pontois : Il y a tout d'abord le temps individuel de chacun, le rythme de chacun. Trouver son propre temps d’intégration parce que chacun a sa fragilité et il faut retrouver la confiance en soi-même et la confiance dans les autres pour se sentir en sécurité.

Xavier Verzat : Dans plusieurs ateliers je relève un aller-retour entre le domaine de la recherche et de l’élaboration d’une connaissance, d'une part et d'autre part le domaine du politique et de l’espace public en général où beaucoup de démarches sont cadrées, prédéfinies dans des espaces de temps qui ne permettront pas cette liberté d’arriver à bâtir. Il faut donc beaucoup de génie de la part des acteurs pour détourner, ruser disent certains, pour essayer de faire avec dans des cadres qui ne sont pas conçus pour ça.

Maria Teresa Pontois : Pourquoi passer par une association, pourquoi passer par ATD Quart Monde ? Une question qui est revenue plusieurs fois. On a entendu beaucoup parler les chercheurs et on a beaucoup entendu parler d’ATD. Il faut respecter le rôle individuel, mais l’association aide dans la préparation et offre un cadre sécuritaire.

Xavier Verzat : Cela semblait être un point de consensus : si l’on prend les personnes en situation de précarité et en grande pauvreté isolément ça n’aide en rien et c’est une injustice à leur égard. Dans le dispositif de suivi du revenu de solidarité active RSA, si des allocataires siègent seuls dans une assemblée, s’ils ne sont pas adossés à un groupe, s’il n’y a pas des lieux, des espaces, des collectifs où ils peuvent réfléchir ensemble, ça peut être destructeur pour les personnes.

Maria Teresa Pontois : Un autre point très important était le métissage, l’échange des rôles dans le croisement des savoirs qui implique aussi la création d’un langage commun composé de plusieurs langages, parce que parfois on a des difficultés à se comprendre, et parfois le langage académique est différent et difficile. Si bien qu’il faut construire un langage commun qui est basé aussi sur une forme de clarté et de transparence.

Xavier Verzat : Et dans les différentes expériences, ce travail sur le langage, cette élaboration se font à plusieurs niveaux pour arriver à se rencontrer, au niveau de groupes de travail des personnes en situation de précarité, des chercheurs et des professionnels. Il se fait aussi au sein de l’équipe d’animation, de ceux qui pilotent ce processus dont certains membres vont être plutôt du côté des professionnels et des chercheurs et d’autres plutôt du côté des personnes en situation de précarité, et là aussi il y a quelque chose de neuf, et là aussi le langage bouge. Et sans doute aussi au niveau des instances décisionnelles qui se trouvent exposées aux contradictions, aux questions que soulève ce processus et qui du coup doivent aussi bouger leur langage. Ça bouge à différents niveaux. Et pour autant le langage c’est concret : dans une de ces salles, quelqu’un attribuait cet après-midi le propos qui venait d’être tenu par une personne en situation de pauvreté à un autre acteur dont le statut est bien différent. On est habitué en effet, si quelqu’un dit quelque chose de pertinent, à attribuer en général cette parole à quelqu’un qu’on a l’habitude d’entendre, pas à une personne qui vient du monde de la pauvreté.

Maria Teresa Pontois : Pauvreté et précarité parce que, comme cela a été dit ce matin, on peut se retrouver à un moment donné dans une situation et après être capable d’en sortir. On en sort et parfois on y retombe et il faut aider justement à ne pas revenir dans cette situation de pauvreté.

Xavier Verzat : Et cela touche aussi la question de l’espace où on peut dire la frustration, la colère que l’on sent dans des situations d’inégalité qui existent dans notre société, on a parlé des femmes, des personnes d’origines ethniques différentes, toutes sortes de situations où des personnes ont moins la parole que d’autres et en même temps là où ça peut être violent. Est-ce qu’on se rend compte qu’aujourd’hui dans notre pays, des gens sont depuis l’enfance dans un statut où la question : « suis-je dans un statut de droit ? » reste posée. J’ai entendu cette même question dans plusieurs lieux. Il y a la question de la finalité, d’accord il faut clarifier, mais au fond, on veut quoi, quels que soient le protocole, la méthodologie qu’on utilise, quel est l’objectif ? Qu’est-ce que ça va changer dans la vie de telle personne ?

Maria-Teresa Pontois : Il est important de n’être pas isolé, mais adossé à un collectif, à un groupe parce que ça donne une possibilité de représentativité et ça aide à multiplier ces lieux de rencontre dont on ne connaît pas toujours les distances d’accès. D’où l’intérêt d’une cartographie des lieux de rencontre pour essayer de donner une multiplicité de possibilités d’expressions et de discussions, d’échanges.

Xavier Verzat : Cela nous amène à la question de comment poursuivre ? Les ateliers avaient des thèmes bien définis. J’ai été frappé par le fait que, par exemple, la question de la méthodologie, quelles questions d’épistémologie soulevaient les recherches en croisement des savoirs, sont arrivées dans tous les ateliers. Ça souligne que l’espace collaboratif, le dispositif qui doit poursuivre ce colloque doit permettre d’accueillir toutes ces questions, aussi bien celles de savoir pourquoi, aujourd’hui encore, présenter un projet de recherche dans les modalités qu’on a évoquées, à l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), ce n’est à peu près pas possible ?

Comment les choses peuvent-elles éventuellement bouger ? Ceux qui aujourd’hui sont en train de se lancer, des jeunes chercheurs, des équipes liées à des associations, qui veulent mener des recherches qui font droit à la liberté de penser de chacun des participants, de chaque composante - par exemple sur la protection de l’enfance dans les Yvelines - il faut qu’ils aient un espace ressource, un lieu pour pouvoir à la fois s’appuyer sur la science, c’est-à-dire la capacité de situer ce moment dans l’histoire, dans un savoir cumulatif, dans une tradition de recherche-action.

J’ai compris que dans les années 80, il y a eu pas mal de choses qui allaient dans ce sens qui existaient, et qui se sont un peu évaporées dans les décennies suivantes. Donc, mettre en place un espace collaboratif, ça veut aussi dire créer des liens qui lient la question institutionnelle à la reconnaissance des disciplines au CNRS, d’un financement, d’une interaction avec le politique. C’est aussi réfléchir comment prendre en compte un des obstacles, le temps : le temps du politique est court et là, si on veut être sérieux sur ces questions, on est sur un temps long. Ce n’est pas tout d’un coup qu’on met les choses au point, qu’on avance pour creuser quelque chose qui est valable sur un plan à la fois éthique, méthodologique et épistémologique.

Maria-Teresa Pontois : Donc, il faudrait faire en sorte qu’en travaillant tous ensemble on arrive à faire apparaître comme partenaires des projets qui sont financés, pas seulement issus des collectivités territoriales ou des entreprises ou des organismes de recherche ou des universités, mais aussi des associations - parce que le bénévolat que nos interprètes sont en train de faire aujourd’hui, mérite quand même une très grande reconnaissance.

Co-construisons ensemble ces nouveaux lieux, ces nouveaux moments qui pourront permettre à tous et à toutes d’obtenir aussi des financements pour des projets sur des recherches qui nous sont communes et qui nous intéressent de plus près parce que ça nous touche tous et toutes, individuellement et collectivement.

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