Actes Colloque > Atelier n° 1 « Quelles sont les conditions éthiques, méthodologiques et épistémologiques des recherches participatives en croisement des savoirs entre les différents savoirs ?»

Animation : Marianne de Laat, conseillère pédagogique en croisement des savoirs

Introduction : Marion Carrel, maîtresse de conférence en sociologie, Lille 3

Conclusion : Didier Torny, directeur adjoint scientifique de l’InSHS

Secrétariat  : Semyon Tanguy

Rapporteur : Patrick Brun

Marianne de Laat : Bienvenue dans cet atelier. Alors on a avec nous M. Didier Torny, directeur adjoint scientifique de l’institut des sciences humaines et sociales du CNRS. A la fin on lui demandera de faire un petit écho de ce qu’il a entendu et retenu, merci d’être avec nous. Merci à vos tous d’être avec nous cet après-midi pour ce temps d’atelier qui sera animé par Marion Carrel, à ma gauche, Maîtresse de conférence en sociologie à Lille 3, et moi-même Marianne de Laat, conseillère pédagogique en croisement des savoirs ATD Quart Monde. Quelques consignes pratiques d’abord.

On vient d’horizons très différents, avec des expertises très différentes. Il y a des chercheurs de différentes disciplines, des doctorants, des praticiens de différents domaines. Il y a des personnes qui ont le vécu de la pauvreté, qui sont militantes d’associations et donc il est important de faire attention à nos jargons, on a tous nos mots qui veulent dire quelque chose pour nous mais pas forcément pour d’autres; on utilise aussi beaucoup de sigles, comme ce matin par exemple, et certains se disaient « qu’est-ce que c’est que ça », alors si vous en utilisez, précisez ce que ça veut dire.

L’objectif de cet après-midi, c’est vraiment d’avoir un échange entre nous à partir de nos expériences, sur les conditions d’une participation, d’un croisement des savoirs, on veut réfléchir ensemble et la première étape est toujours de bien se comprendre.

On va essayer et si c’est difficile on va peut-être devoir se réexpliquer et se redire les choses autrement. Une fois qu’on a compris on peut aussi réagir et compléter avec ses propres expériences ses propres idées. On peut aussi exprimer son désaccord, pas de souci, mais on ne juge pas la personne, et on ne se moque pas non plus. C’est important quand on a un vécu difficile où on s’est beaucoup moqué de soi après pour prendre la parole, il faut être sûr qu’on ne se moque pas les uns des autres et qu’on ne se juge pas, c’est une question de respect et pour bien dialoguer.

Marion Carrel va faire une petite introduction à partir de son expérience de croisement des savoirs et elle va nous faire part de quelques conditions pour bien faire du croisement des savoirs. A partir de là on vous proposera de vous mettre en petits groupes par 3-4 personnes pour réagir et réfléchir à partir de ce que Marion nous aura dit. Je vous dirai après les questions sur lesquelles on va réfléchir, puis enfin on reviendra en plénière. Je donne la parole à Marion.

Marion Carrel : Je vais vous parler à partir de l’expérience que j’ai vécue. Je n’ai pas participé à une recherche en croisement des savoirs mais par contre j’ai participé à une évaluation en croisement d’une recherche en croisement. Déjà ça commence mal [rires]. J’ai participé avec des personnes en situation de pauvreté à Montréal de l’association ATD Quart Monde, des chercheurs en santé, des professionnels, donc médecins et infirmiers, qui avaient travaillé ensemble pendant trois ans. C’est la recherche que Marianne a présenté ce matin et qui s’appelle EQUISANTE. Elle a eu lieu, a donné lieu à des publications scientifiques sur les barrières et les leviers à l’accès aux soins des personnes en situation de pauvreté.

Ça a aussi donné lieu à des changements de pratiques individuelles de certains professionnels et certains chercheurs et moi je suis arrivée, et ça les intéressait aussi de revenir sur la méthode et la manière dont ça s’était passé pour en tirer certaines conditions du croisement des savoirs.

Peut-être dire un mot sur le fait que dans cette évaluation en croisement, c’est quelque chose qui a été préparé avec les volontaires d’ATD, donc avec Marianne notamment. Il y a eu un travail de préparation où ce que j’imaginais faire a été déconstruit et reconstruit autrement, c’est-à-dire moi chercheuse j’arrivais, et je voulais évaluer et on m’a dit « on ne va pas faire comme ça ». J’ai écouté et j’ai beaucoup appris, à la fois en termes de méthode et d’éthique et sur la manière de s’y prendre. Bon cette méthodologie, je ne vais pas tout développer mais c’était de travailler d’abord en groupes de pairs : ce qu’on appelle des groupes de pairs c’est les membres de chaque groupe, les personnes en situation de pauvreté d’un côté, les volontaires donc ceux qui les accompagne d’un autre, les chercheurs encore d’un autre, les médecins, les praticiens…

Marianne de Laat : Peut-être est-ce intéressant de dire ce qu’était ta première idée ?

Marion Carrel : Ma première idée c’était de faire des entretiens avec chacun, de lire leurs travaux et d’aller les interroger. Moi toute seule. Donc là on m’a expliqué que ça n’était pas intéressant. Je plaisante mais en même temps, il fallait faire autrement si on voulait faire en croisement. Donc travailler en groupe de pairs d’abord, où chaque groupe s’est posé des questions entre eux, avec moi. On faisait un entretien collectif avec chaque groupe, on revenait sur la méthode, quels sont les freins et les leviers au croisement des savoirs, qu’est-ce qui a posé débat, qu’est-ce qui a occasionné des conflits au sein de chaque groupe d’acteurs dans la recherche. Ensuite on se remettait en plénière. Ensuite, je retranscrivais ces discussions collectives en groupes de pairs, je leur envoyais pour qu’ils puissent les relire et les valider. Je précise que pour les personnes en situation de pauvreté, il y avait dans leur groupe une volontaire d’ATD à Montréal qui était avec eux.

Ce qu’il en ressortait, pour vous montrer quelques anecdotes, et pour vous montrer à quel point moi ça m’a fait réfléchir à ma pratique. Quand je renvoyais les comptes-rendus à chaque groupe, au début j’avais souligné les endroits qui me paraissaient importants pour l’analyse. Je me disais : « ça ira plus vite et ce sera plus facile pour eux parce que j’ai déjà pointé ce qui était intéressant ». Là-dessus Marianne m’appelle et me dit « tu ne peux pas faire comme ça ». Enfin oui, elle a raison, même si on procède comme on a l’habitude de faire, j’ai enlevé les soulignés, et dans les groupes eux-mêmes, la consigne était : « Repérez dans le texte ce qui vous va, ce qui vous va pas, et sur quoi vous voudriez discuter ». On m’a aussi expliqué qu’il serait bien de numéroter toutes les lignes des comptes-rendus pour que les gens puissent ensuite, quand on discute, dire « je parle de la ligne 12 à tel endroit et je voudrais discuter là-dessus ». Il y a aussi le fait que dans les groupes par endroits ils ont enlevé des choses qui étaient dans la retranscription, ou voulu rajouter d’autres, mais surtout enlever certaines choses.

Et pour le chercheur, c’est dur parce qu’il perd des données quand on enlève des choses, sachant que c’est des moments aussi où j’ai compris que c’était une manière, d’abord pour les personnes, dans leur groupe, de faire que leur savoir évolue : quand on relit, ce qu’on a dit, peut-être qu’on a envie de le dire autrement, et c’est aussi – et ça chez ATD vous êtes très attentifs à ça – le respect de la vie privée, le respect de la liberté de chacun à pouvoir apparaître ou pas, et Il y a des choses qu’on n’a pas envie de fournir aux autres.

Je ne voudrais pas être trop longue mais dire quand même qu’après, dans la méthode, il y avait un travail de plénière où chacun dans les groupes s’était mis d’accord, ils avaient lu les comptes-rendus des autres et ils devaient dire deux passages avec lesquels ils étaient d’accord chez les autres et deux passages avec lesquels ils étaient en désaccord chez les autres. Et donc, du coup, les personnes en situation de pauvreté disaient : « je suis d’accord, j’ai bien aimé tel passage, chez les chercheurs par exemple, par contre tel autre passage ça m’a questionné ». Ça a amené en plénière des débats sur les tensions, les conflits, et aussi les conditions du croisement des savoirs. Donc j’en arrive à quelques conditions, qu’on m’a demandé de présenter selon ce que j’avais vécu. Je n’en présenterai que trois qui me paraissent les plus importantes. Les conditions éthiques, méthodologiques, pour le croisement des savoirs.

La première, c’est de travailler avec des associations.Je me suis aperçue que ce n’était pas possible d’organiser cela (des chercheurs avec des personnes en situation de pauvreté) tout seul. Alors il s’agit d’associations qui réunissent des personnes en situation de pauvreté, qui connaissent bien le monde de la pauvreté, et qui travaillent aussi sur la reconnaissance des savoirs issus de ce milieu et qui ne sont pas, comme on l’a dit ce matin, condescendantes, donc dans une relation asymétrique avec les personnes. Pourquoi ça m’est apparu fortement ? Parce qu’à plusieurs moments je me suis dit « mais quel travail énorme pour les volontaires d’ATD à Montréal » qui prenaient un temps incroyable pour discuter, travailler et préparer les rencontres avec les personnes en situation de pauvreté. D’une part, tout ça, le chercheur ne peut pas le faire, et surtout il y a des moments qui sont beaucoup sortis dans les publications : il y a des moments clé où Il y a des expressions de colère, d’émotions très fortes, quelque chose qui devient incompréhensible pour les uns et les autres, c’est parfois le professionnel qui se met en colère parce qu’on lui renvoie une image de lui-même insupportable, et donc il y a des moments très durs sur lesquels il y a le savoir-faire des volontaires de repérer les moments où il faut arrêter, prendre un temps et revenir en groupes de pairs. Et puis il faut des années… Chez ATD on passe par les Universités Populaires, ça passe par plein d’étapes avant d’être porteur de ce savoir situé de la pauvreté.

Travailler en alternance entre des groupes de pairs et des moments de croisement. Alors voilà, il se trouve que dans les travaux et les recherches des féministes, dans les recherches post-colonialistes, enfin, il y a d’autres courants qui ne portent pas sur la pauvreté mais sur d’autres milieux, les femmes, les pays ex-colonisés, où on insiste beaucoup sur ça : la non-mixité, et on insiste sur le fait qu’il faut être entre soi pour passer du témoignage au savoir pour construire collectivement un espace de confiance où on peut livrer des choses et que ça puisse produire un savoir. Ce qui est difficile à comprendre pour nous chercheurs, c’est qu’on n’a pas accès à ça. C’était une des sources de conflits dans EQUIsanTE entre les chercheurs et les volontaires, où les chercheurs vivaient très mal de ne pas avoir accès à ce qui se disait dans ces groupes non mixtes, ils n’avaient pas accès aux enregistrements. Il y avait un respect de ce travail fait en groupes. Ça me parait très important de réfléchir à ça au terme de méthodologie. Alors c’est de la non-mixité partielle, parce qu’il y a des volontaires ATD dans les groupes : est-ce qu’ils connaissent la pauvreté comme les autres, est-ce qu’ils ont un rôle pédagogique, c’est toute une question, mais en tout cas chaque groupe de pairs offre des temps de retour sur ce qui s’est dit en croisement et c’est là que la pensée avance, et aussi pour les chercheurs et les professionnels et c’est pas une habitude. Nous chercheurs, on n’a pas été formés à travailler collectivement. Quand on veut transformer un peu notre mode de production de savoirs, on doit se questionner aussi : « est-ce que je parle toute seule ou est-ce que je parle au nom de la recherche sur ce sujet et qu’est-ce qu’on dit sur ce sujet en tant que chercheur ? »

Un comité de pilotage tripartite, avec l’histoire de suivre de A à Z la recherche, qui permette de réfléchir à quelles questions de recherche on se pose, comment on va s’y prendre méthodologiquement, comment on va analyser, comment on recueille les données, comment on écrit ensemble ? Alors on n’écrit pas tout, la totalité des rapports d’EQUIsanTE n’a pas été écrite en croisement, mais deux chapitres par exemple. C’est un lieu de conflit, un lieu où ça se bataille et où on se met d’accord sur les méthodes. Ça parait important parce que comme on l’a dit ce matin, les chercheurs, avec leur légitimité et leurs méthodes, écrasent assez vite les recherches coopératives parce qu’ils ont un savoir-faire de méthode. Or là dans ces espaces le chercheur est forcé à lâcher prise et à ne pas tout maîtriser. Je pense qu’on a besoin d’être dans des structures où collectivement on doit se mettre d’accord sur des démarches et des méthodes. Il y a rien d’habituel dans tout ça, c’est comme des élus dans la démocratie participative. Les élus si on les laisse faire tout seuls ils vont reproduire des formes de domination, eh bien, nous chercheurs c’est pareil, si on nous laisse faire tout seuls on va tout écraser.

Marianne de Laat : Merci Marion, à vous maintenant. Elle n’a pas tout dit, Il y a sûrement d’autres conditions pour faire des recherches ensemble et je vous propose maintenant de vous mettre par 3 ou 4 et de répondre à deux questions :

  • Dans ce qu’a dit Marion, avec quoi êtes-vous d’accord ou pas d’accord et sur quelle expérience(s) vous vous appuyez pour dire ça ?

  • Est-ce que je pense à une autre condition qui n’aurait pas été nommée mais qui me semble importante aussi ?

Questions de compréhension

Louis Bourgois : Bonjour, c’est simplement une petite question de compréhension pour le cadre de cette évaluation. C’était une évaluation externe, financée ou décidée en interne par les personnes qui avaient fait le projet ?

Marion Carrel : Non ce n’était pas financé, c’était une volonté de chacun de prendre ce temps. Les volontaires et les personnes en situation de pauvreté m’ont dit à la fin que cela leur a été utile de faire ce temps de retour qui n’avait pas été prévu

Marianne de Laat : Tout au long du processus on s’est dit qu’à la fin il faudrait vraiment qu’on évalue et qu’on en tire des choses mais on était au bout de l’argent et peut-être aussi de notre énergie et c’est après avoir arrêté un an, que Marion m’a proposé ça et on a sauté dessus et c’est pour ça que je lui ai dit que ça n’allait pas si elle ne faisait que des interviews et qu’elle seule allait en tirer des choses parce qu’on avait cette volonté-là de faire progresser tout le monde, surtout si on le faisait en croisement des savoirs. Ça a été proposé et finalement tout le monde s’est retrouvé sur cet objectif-là d’évaluer. Il y a peut-être d’autres questions de compréhension ?

: Quand tu parles de comité de pilotage tu parles de qui ?

Marion Carrel : Deux personnes en situation de pauvreté, deux volontaires d’ATD, deux chercheurs en santé et il y avait des professionnels aussi. Ils se voyaient régulièrement pour essayer de décider comment ils allaient s’y prendre.

X : Mais ce ne sont que des gens de la recherche, il n'y a pas de gens extérieurs alors ?

Mélanie Duclos : A quoi est-ce que vous êtes arrivés lors de cette évaluation ? Est-ce que ces trois conditions sont ce qui émergeait ou est-ce qu’il y a eu d’autres résultats ?

Marianne de Laat : On ne va pas reparler de cette recherche-là plus en détails, vous pouvez trouver le rapport en ligne, vous tapez « EQUIsanTE » et sur le site d’ATD Canada vous trouverez le rapport avec les résultats au niveau des barrières entre les personnes en situation de pauvreté et les services de soin

Mélanie Duclos : J’insiste un tout petit peu, je ne veux pas la réponse, mais pour réfléchir à ces questions, j’ai besoin de savoir, et ça m’a aussi interrogé ce matin, j’ai besoin de savoir plus concrètement à quelles connaissances on arrive, à quel savoir ?

X: Les gens en situation de pauvreté, j’aimerais savoir comment ils ont été choisis, est-ce que c’était des gens qui avaient déjà participé avec l’association à des séances « d’empowerment », de renforcement de capacités ou bien c’était des gens qui venaient de débarquer, pour une première séance de participation avec un chercheur en croisement ?

Marianne de Laat : Non, toutes les recherches faites en croisement des savoirs ont été faites avec des personnes en situation de pauvreté membres de l’association et qui donc ont déjà parcouru un chemin avec nous et souvent été des membres des Universités populaires Quart Monde depuis des années, jamais avec des gens qu’on trouvait dans la rue auxquels on aurait proposé de venir faire une recherche avec nous. C’est un public compétent, ils sont tous compétents. On a beaucoup parlé ce matin de l’importance de l’association et de prendre du recul sur sa vie et sur la vie des autres aussi. Oui, ils sont dans ce chemin-là.

D'autres questions de compréhensions ? On ne va pas encore rentrer dans le débat, ça viendra après. Est-ce que dans ce qu’a dit Marion il y a des choses qui n’ont pas été comprises ? Bon alors on va se mettre en petits groupes de 3 ou 4 pour un quart d’heure.

Retour en grand groupe après le temps d'échange par 3-4

Marianne de Laat : Peut-être juste pour commencer, dire que la démarche du croisement des savoirs n’est pas quelque chose de figé, c’est vraiment une recherche continue, c’est pour ça que c’est intéressant pour tout le monde d’y réfléchir ensemble, parce qu’on peut apprendre les uns des autres et on est avec chaque recherche devant des nouvelles situations, et donc il faut être créatif, il faut chercher comment faire au mieux ce croisement des savoirs, comment on permet au mieux que ce savoir des uns et des autres puisse se construire et ensuite se croiser. Donc on est vraiment sur ces questions-là : « c’est quoi les conditions que vous avez expérimentées et qui rendent le croisement possible ? ». On a hâte de vous entendre. Je propose qu’un groupe commence à parler d’une condition.

Doris Mary : Nous on a parlé du temps pour travailler au croisement des savoirs, pour rencontrer des professionnels, ça ne se fait pas du jour au lendemain, Il y a une préparation, et entre militants on se soutient, on se met d’accord. Ça ne se fait pas en un jour, on le prépare bien avant, et il faut du temps. C’est pour ça c’est long.

Marianne de Laat : Vous insistez surtout sur le temps de préparation de la rencontre, du croisement entre les différents savoirs ?

Doris Mary : oui.

Marianne de Laat : Est-ce que Il y a d’autres groupes qui ont parlé de la notion du temps ?

X : Oui, ça fait écho, parce que nous on parlait beaucoup de la notion de processus qui n’a pas été beaucoup évoquée mais on se rend compte qu’il s’agit vraiment de démarches de long terme, de temps, et si vraiment il y a croisement des savoirs il faut qu’il y ait des étapes pour la préparation de ces savoirs pour les partager. Et, notamment, on faisait référence aux démarches de retranscription qui peuvent paraître rébarbatives lorsqu’on retranscrit mot par mot ce qui a été dit, mais qu’au final c’était quelque chose qui permettait dans une des multiples étapes de ce processus de croisement, de fournir de la matière pour que toutes les personnes puissent s’approprier réellement et prendre le temps de s’approprier la nature des échanges.

Marianne de Laat : Cela permet aussi de revenir sur des choses qu’on n’a pas comprises, de revenir et de re-réfléchir là-dessus par exemple.

X : On a aussi parlé du rythme de chacun dans le processus et de cette espèce d’équilibre entre la souplesse et la fermeté sur les horaires. C’est-à-dire que si on voit qu’il y a besoin de plus de temps, eh bien on ajuste au fur et à mesure.

Chercheuse à Créteil : Nous on n'en a pas parlé beaucoup mais on a dit, par exemple, quand on est chercheur, et c’est mon cas, quand on finit une recherche, on passe à la suivante, alors que là, quand on a fait une recherche avec des pairs, comme dit un des pairs : « on est devenus des amis ». On a enclenché une autre recherche mais les pairs ont fondé une association, et on fait partie de l’association et on a l’impression que ça a enclenché beaucoup plus loin que le temps d’un contrat de recherche. On l’avait pas prévu au départ mais on sait que là on ne peut pas reculer, c’est comme une longue durée qui s’est enclenchée.

Marianne de Laat : Vous parlez du temps après. Je me rappelle avec EQUIsanTE ou d’autres recherches, le temps avant de réellement commencer la recherche, pour trouver les accords entre les associations et les chercheurs, trouver un financement et tout ça... le temps avant peut être très long, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut se décourager !

Marie-Ange Billerot : On avait parlé du temps de préparation. Avant de venir voir un professionnel on se prépare. Ce n’est pas pour se mettre au niveau de chez vous, mais c’est pour essayer de comprendre certains mots qui sont difficiles. Ne pas se mettre à niveau, mais essayer.

Marianne de Laat : Une autre condition ?

X : Nous on avait souligné en particulier : qui fait l’intermédiation dans le croisement ?

Marianne de Laat : Qu’est-ce que vous voulez dire avec « intermédiation ? »

X : Marion, si j’ai bien compris, ça sous-tend que c’est l’association ATD Quart Monde qui fait l’intermédiation, et je pense qu’il faut le souligner. Dans d’autres cas est-ce qu’un bureau d’études, un universitaire, un passeur, un leader… parce qu’en Amérique Latine on sait que la recherche participative elle est là depuis des années, mais ce n’est pas des associations seulement, pas des ONG seulement… donc qui fait l’intermédiation, qu’est-ce que ça donne quand c’est une association qui fait l’intermédiation et pourquoi ça doit être l’association ?

Marianne de Laat : Donc c’est une question, ce n’est pas une condition, vous re-questionnez ce qu’a dit Marion, c’est ça ?

X : L’intermédiation, pour moi, à mon avis, de par mes expériences dans les ONG internationales, je pense qu’elles ont un potentiel, de par l’expérience de praticiens du développement, elles ont un potentiel et c’est elles qui doivent faire cette intermédiation, mais il faut le dire, il faut le justifier, ça ne doit pas être comme une donnée. J’ai compris avec votre intervention, Marion, « c’est comme ça, on m’a invité, Il y avait une commande, j’y suis allée, on m’a dit »… d’ailleurs avant, je termine par-là, on a dans la tête une frilosité de l’université, de l’académique par rapport aux savoirs ordinaires, aux associations. Et là ce que j’ai compris, ce sont les associations qui ont une certaine frilosité par rapport aux savoirs scientifiques.

Marion Carrel : En tout cas, ce que je peux dire, quand vous dites intermédiation, ça me fait penser au fait que ça doit être construit, pensé, entre chercheurs, associations et professionnels et donc c’est pas confié, tout ce processus, à une association, en disant le chercheur du coup il fait ce que l’association lui dit de faire. Ce n’est pas ça l’idée. Je ne sais pas si c’était ce que vous disiez. Je pense que c’est une condition, pour moi, de travailler avec des associations qui sont en contact proche avec des personnes en situation de pauvreté parce que les chercheurs tout seuls avec ces personnes-là vont pas arriver à produire… enfin il faudrait voir ce que ça peut produire en termes de connaissances, il faudrait prendre ce temps-là mais enfin Il y a trop de moments d’incompréhension et de choses qui empêchent le développement de la pensée sans ce savoir-faire associatif.

Marianne de Laat  : Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre sur ce point-là pour rebondir dessus ?

Louis Bourgois : Moi, c’était plus pour répondre à la première question : « d’accord/pas d’accord », par rapport à ce rôle de l’association, juste pour dire je parle d’un projet en croisement qui n’est pas un projet ATD, porté par le collectif « Soif de connaissances ».

C’est un module de formation qu’on co-construit avec des chercheurs, des formateurs professionnels, des personnes accompagnées qu’on appelle « personnes ressources » au sein du groupe et des professionnels du travail social. Ce sont des gens qui viennent d’un peu partout. L’animation se fait par le collectif et donc pas par des représentants d’une structure associative. Ce qui fait que ce qui a été présenté ce matin, était un peu comme une pré condition, qui était que les personnes devaient être, en fait, accompagnées depuis un moment, préparées etc. En fait ce que vous avez décrit, qu'il y avait des personnes qui étaient suivies depuis 15 ans.

Et je me pose donc plusieurs questions là-dessus notamment en termes de biais dans la recherche parce qu’ATD défend un message, défend une certaine vision, etc. et donc là vous n’avez que des personnes qui font partie de ça depuis longtemps, qui sont un peu acculturées, donc je me pose un peu la question… et donc finalement dans une autre forme de processus, d’avoir des personnes pas du tout accompagnées depuis des années par une association mais qui ont quand même des compétences pour s’exprimer etc. ne peuvent pas intégrer ce type de démarche… parce que c’est très présent depuis ce matin, de dire « il faut… ». Enfin c’est la pré condition, ça me pose beaucoup de questions.

Marianne de Laat : Est-ce qu’il y a d’autres remarques par rapport à ça ?

Nelly Deverchère : Je vais un peu répéter ce qui s’est dit juste avant parce qu’on s’est en effet questionnés sur cette condition de l’association des personnes. Notamment, ça me parait restrictif dans le sens où je pense que ça doit irriguer de multiples lieux. Je suis assistante sociale au sein d’un conseil départemental, donc en polyvalence de secteurs, on est un service public de proximité et je pense qu’autant des deux côtés, des personnes qu’on reçoit ou des travailleurs sociaux, on a des constats d’échec, d’impuissance, et je pense que ce croisement des savoirs est primordial. J’imagine, on en parlait ensemble, qu’ATD Quart Monde ne peut pas être sur tous les fronts. Et puis, de toute façon, est-ce que les institutions elles-mêmes solliciteraient ATD Quart Monde… Je me pose la question parce que j’ai deux casquettes : j’ai été étudiante au Cnam et j’ai fait une recherche sur la participation et le développement du pouvoir d’agir et aujourd’hui je suis revenue sur le terrain et je me pose la question de comment essayer de faire que ce croisement des savoirs existe aussi, enfin concrètement et vraiment, pour bouleverser nos pratiques et aussi transformer le regard des personnes qu’on accompagne sur nos services pour qu’on puisse mieux dialoguer ensemble.

Patricia Chvedco : Je n’ai pas préparé ça mais je vais réagir à ce que vous venez juste de dire. Pour faire du croisement des savoirs, une des conditions c’est qu’il n’y ait pas de dépendance avec les acteurs. Donc si vous envisagez une démarche de croisement des savoirs avec une personne qui émarge directement dans vos services, ça ne sera pas du croisement des savoirs, parce que les personnes elles vont vous dire ce que vous aurez envie d’entendre, elles ne seront pas libres de pouvoir s’exprimer. Voilà, c’était juste une parenthèse, mais pour moi c’est important.

Roland Hairion : Je reviens sur ce que Patricia disait : effectivement on est sur ce problème-là, on va prononcer ce que les gens ont envie d’entendre, mais on ne va pas forcément aller dans le croisement des savoirs. Ce qu’il faut comprendre c’est que depuis ce matin on entend beaucoup ce que vous disiez justement tout à l’heure : l’accompagnement. Mais pourquoi l’accompagnement ? Ben justement pour protéger, parce que nous en tant que militants, on ne va pas forcément avoir envie de se livrer à une personne… si on n’a pas… comment expliquer… Si on n’a pas une personne d’une association avec qui on a déjà partagé ces choses-là, on ne sait pas à qui on a affaire, et on ne sait pas comment ça sera utilisé après ces choses-là, Vous voyez ce que je veux dire ? Donc on préfère avoir une certaine sécurité aussi derrière nous, c’est pour ça qu’il y a cette histoire d’accompagnement.

Tom Croft : Je suis Tom Croft, d’Angleterre. En Angleterre, nous sommes en face de ces questions pour un projet de recherche qu’on fait en partenariat avec Oxford University. On l’a déjà dit un peu. Distinguer deux choses : l’importance de cet accompagnement pour soutenir des personnes qui sinon sont très très loin de participer dans quelque chose comme ça, et faire attention si tout le monde vient de la même association, parce qu’on a un vrai défi là, au niveau de la rigueur de recherche. Il y a le danger d’avoir un type de pensée collective qui est un problème si on veut faire une vraie recherche.

Nous essayons de trouver plusieurs associations où on peut donner cet accompagnement nécessaire, surtout, comme j’ai dit, pour assurer que des gens qui peut-être n’auraient jamais pensé à participer. Mais on essaye d’avoir des associations qui ne sont pas toutes ATD Quart Monde, d’avoir une diversité, mais c’est un grand effort pour faire des partenariats. On garde toujours la question de comment trouver des gens qui ne sont pas membres d’une association pour participer dans une recherche qu’on voudrait faire sur le terrain. Si on arrive à recruter des gens pour participer à un vrai croisement qui ne sont pas forcément membres d’une association, mais dans un tel cas quelles conditions on doit inventer aussi ?

Hélène … : Je voulais parler en tant que formatrice. J’ai vécu ma première co-formation en 2015, et ça ne fait donc pas longtemps que je suis dans ou près d’ATD. Ce sont des réflexions que j’ai souvent. J’ai vraiment compris la méthodologie d’ATD en vivant une co-formation, et avant c’était vraiment pour moi à l’encontre de mes pratiques professionnelles d’éducation populaire, et ça a été un vrai choc de vivre cette formation parce qu’on nous a donné plein de principes méthodologiques qui allaient à l’encontre de mes propres principes. Mais que ce que je ressors de cette co-formation, c’est que ces principes méthodologiques sont la garantie pour que tout le monde puisse participer.

Ce que je trouve compliqué dans cette journée et c’est peut-être ma conviction, c’est que quand on n’a pas vécu de temps comme ça c’est difficile de s’imaginer, parce qu’on ne les a pas vécus dans son corps, dans ses émotions, et j’ai trouvé que peut-être, ce matin ça manquait d’explication de pourquoi on faisait les choses comme ça, d’où ça vient, et je pense que la plupart de vos interrogations sont liées au fait que vous ne l’avez pas vécu. Je dis pas qu’il faut l’avoir vécu, je ne veux pas être dogmatique, c’est juste pour témoigner de ça.

Doris Mary: Je voudrais réagir par rapport à « prendre les gens sur le terrain ». En fait on est tellement fragilisés, du coup peu importe d’où on vient, mais la fragilité quand vous vivez ces moments sans être préparé un temps, quand vous n’êtes pas préparé à être face à un chercheur ce n’est pas évident, parce que vous êtes encore avec toute votre haine et la colère que vous pouvez avoir. D’être au sein d’une association, que ça soit ATD ou comme vous dites, c’est vrai, dans d’autres associations qui peuvent se joindre au croisement de savoirs, je pense qu’il faut avoir déjà un certain recul et entamer un petit deuil de sa vie antérieure, qui demeure toujours, mais de cette colère en fait. D’où l’importance du groupe de pairs aussi qui est très important surtout, quand je pense tant au niveau des professionnels que des personnes en milieu précaire, quand les émotions sont très fortes on a besoin de se retrouver entre nous et pas envie de pleurer devant les professionnels parce que ces moments nous appartiennent, d’où l’importance de ces moments-là.

Marianne de Laat : Vous voulez réagir ?

Louis Bourgois : Oui très rapidement, effectivement je pense que ce matin ça aurait mérité… c’est vrai qu’aujourd’hui quand on arrive et qu’on n’est pas à l’intérieur d’ATD Quart Monde, enfin il s’agit beaucoup de la présentation de projets d’ATD, mais quand on a d’autres expériences, qui je pense se relient, je pense que c’est intéressant de les partager. Enfin, pour nous, ça fait deux ans qu’on travaille sur ce projet de formation sur ce groupe-là, on est une vingtaine de personnes… je pense qu’il y a beaucoup d’autres expériences aussi, avec une méthodologie différente, justement, qui n’est pas portée par une association, mais on expérimente des zones de danger aussi, sur la fragilité des personnes ; pas seulement sur la fragilité des personnes accompagnées d’ailleurs. Je peux vous dire, en effet, après une expérience de deux ans, quand on travaille sur la relation professionnels-usagers, pour les professionnels c’est extrêmement déstabilisant de s’entendre dire que les assistants sociaux « c’est des cons qui comprennent rien » et tout ça, donc c’est extrêmement fragilisant, et pour les chercheurs aussi ça demande de revoir toute la manière dont ils travaillent. Donc les fragilités, elles sont aussi du côté des professionnels et des chercheurs. Enfin, je trouve que l’attention aux personnes, elle est sur l’entièreté des personnes du groupe et je trouve qu’il y a aussi du croisement de méthodologies là-dessus, d’autres expériences qui peuvent être intéressantes à discuter et à capitaliser.

Marianne de Laat : Je vais juste réagir parce que le but n’était pas de faire une promotion pour ATD Quart Monde, on va en parler tout à l’heure, mais c’était aussi de lancer avec le CNRS et le Cnam un espace collaboratif où on peut se partager justement plus en profondeur nos démarches et les questionner et apprendre les uns des autres, c’est l’objectif de cette journée. Évidemment, dans un colloque comme ça, il faut partir de quelque part, mais j’espère vraiment que vous allez vous mettre ensemble avec nous pour aller plus loin parce que j’ai très envie de savoir comment vous faites et comment vous vous y prenez, et comme je le disais tout à l’heure c’est un chemin qu’on fait, on apprend tous les jours, on n’a pas la science infuse sur ce que c’est le croisement des savoirs, on apprend tous les jours, donc j’ai bien envie aussi d’apprendre avec vous.

Marion Carrel : Je me permets juste un mot parce qu’au début de la discussion, ce qui est important de retenir c’est que vous avez posé la question « est-ce qu’il faut toujours que les gens soient dans des collectifs associatifs ou est-ce qu’on peut imaginer que des personnes en leur nom propre puissent intervenir dans le croisement des savoirs ? ». C’est un des nœuds compliqués de la question : si on pense qu’il faut d’abord que ça passe par du collectif on perd du monde, et en même temps, en tout cas pour les personnes les plus éloignées de la parole publique, on pourrait prendre l’exemple des équipes pluridisciplinaires du revenu de solidarité active où la loi impose qu’il y ait des allocataires du RSA dans les équipes pluridisciplinaires. Elles viennent souvent seules dans un espace qui est très impressionnant, donc ça redouble les exclusions et les inégalités finalement, ces personnes-là se sentent encore moins légitimes après ou alors prennent des postures de représentants des autres… Donc, c’est quand même la grande question de maintenir ou d’avoir des supports collectifs dans la participation sinon on a un grand risque de reproduire les inégalités sociales

Ayad Zarouli : J’ai travaillé sur ce qui était pilote pour les « best practices » au niveau international. A Rabat, la commande de l’État à travers l’Habitat nous a demandé à nous l’ONG (Enda ) de créer un intermédiaire, et non une association de développement du bidonville, mais nous nous savions, et ça c’est le jeu d’acteur, qu’il n’avait aucune légitimité vis-à-vis des habitants. C’est très hétérogène le bidonville marocain, il y a des militaires, des femmes veuves, des jeunes, des ethnies. Alors, venir travailler avec une association parce qu’il faut une organisation formelle, quelle légitimité, quel savoir…  alors que l’accompagnement social c’est une question épineuse aujourd’hui au Maroc. Comment faire travailler la population avec l’État, surtout dans un contexte d’autoritarisme participatif ? Alors moi, intellectuel, je veux dire que ce sont des questions réelles, qu’est-ce que je veux produire après, avec qui, quelle légitimité, quel ancrage ? Une sociologue, Françoise Navez-Bouchanine, qui a passé 30 ans à écrire là-dessus montre que le problème du bidonville marocain c’est qu’il ne crée pas de structure représentative. A la Médina, on trouve des coopératives, on trouve des amicales, mais au bidonville, en raison de son histoire, toute action collective est tuée, toute représentation et donc c’est une vraie question.

Brigitte Bouquet : C’est une démarche tout à fait identique à celle d’ici, mais je pense à d’autres associations qui sont des associations d’usagers qui ont besoin de professionnels, si on écoute bien, parce qu’il y a tout à fait une complémentarité. Dans cette démarche, les professionnels sont au minimum, ils se rencontrent avec l’association, et ça démarre très lentement et très doucement. Quand ils se sentent compétents pour être en collectif, ils votent et à ce moment-là ils se proposent. Ça vote par région, et nationalement il y a un grand groupe, et ils se réunissent tous les deux mois, et là ils réfléchissent ensemble aux problèmes.

Il y a toujours une trentaine de personnes invitées pour que leurs compétences soient au service des personnes et quand ils se réunissent c’est leur parole qui est première. Ça m’est arrivé plusieurs fois d’y aller parce qu’on me demandait d’aider pour certaines choses mais c’est eux qui décidaient, c’est eux qui parlaient. C’est d’ailleurs très impressionnant – d’origine je suis assistante sociale et après bon j’ai… suivi l’enseignement au Cnam – c’est très impressionnant ! Pour les personnes qui sont là c’est leur réflexion commune, et pour nous les autres qui venons c’est comment on répond au mieux, c’est-à-dire sans prendre un langage universitaire en étant au plus près de leurs demandes etc.

C’est pour en arriver au fait qu'au Haut-Conseil du Travail Social, il y a maintenant justement des personnes qui sont bien sûr partie prenante et notre souci justement c’est que leur parole soit entendue, enfin c’est forcément quelqu’un qui a pris l’habitude de parler et qui sait parler devant d’autres. Là avec d’autres ils préparent avant et espérons, parce qu’on en est qu’au début, espérons que la parole sera aussi bien perçue que jusqu’à présent et que ça continuera et que ça soit tout à fait dans le travail social une parole très importante pour que justement au niveau national, les réflexions à avoir sur tel problème social prenne en compte leur parole, que ça soit pas seulement la parole du travail social lui-même.

Donc c’était pour dire que tout ce que j’ai entendu aujourd’hui me parle beaucoup, parce que cette parole, cette expression et cette temporalité… nous on fait quand même attention à la temporalité. Si c’est pour intimider les personnes et qu’elles n’osent pas parler, non ! Il faut forcément prendre des personnes qui sont bien sûr d’accord, mais qui ont pris le temps, comme on disait, d’apprendre à parler, enfin pas d’apprendre, enfin si, pour s’exprimer normalement. Mais c’est très important de voir que ces quelques expériences – enfin celle-là elle est toute nouvelle – il faut qu’elles aient un appui pour le coup pour faire une autoévaluation très régulière.

Mélanie Duclos : Je n’étais pas complètement sûre, moi, par rapport à la nécessité du groupe, pas tant parce que je vois en quoi c’est riche, mais pourquoi c’est nécessaire. Et je me pose cette question parce que j’ai fait un travail d’anthropologue classique, j’ai fait du terrain longtemps avec des personnes en situation de précarité.

Quand je dis longtemps c’est sept ans, donc quand je dis longtemps, j’ai eu le temps de rencontrer les personnes et de gagner la confiance nécessaire qui a besoin de se construire mais du coup j’ai fait l’expérience aussi de comment un rapport interindividuel peut amener à faire émerger la connaissance de ces personnes et à la prendre en compte même dans la production de connaissances. Après, pour ce qui est de la connaissance qui est produite, je ne peux pas prétendre avoir fait de la recherche participative, parce que c’est moi qui ai écrit une thèse de doctorat sur le sujet, mais après, en vous écoutant tous, je me disais que peut-être les deux méthodologies pouvaient être complémentaires, la collective et l’individuelle, et notamment dans le cas où on s’inquiéterait de ce que les personnes fassent partie d’un même groupe. Du coup, on pourrait passer par l’interindividuel qui demande énormément de temps mais pour faire intégrer d’autres personnes ça pourrait être un moyen.

X : On va dire dans ce sens si ce n’est pas, même si c’est individuel ou collectif une des conditions que le cadre dans lequel ça se passe soit un cadre de sécurité. Après ça peut être individuel ou collectif mais si on veut qu’il y ait une réelle participation, je veux dire sécurité et confiance pour tout le monde, en tenant compte aussi de la fragilité des professionnels et des chercheurs ça serait peut-être justement là la condition pour que tout le monde qui participe se sente au minimum en sécurité, soit dans un cadre minimum de sécurité.

Marianne de Laat : Beaucoup veulent encore prendre la parole, vous faites très court parce qu’on doit finir et j’aimerais quand même donner le dernier mot à Didier Torny.

Elisabeth Bucolo : Je pense que ce qu’on vient de dire ça converge vers quelque chose qui me parait essentiel, c’est la question de la méthode, les règles ou les procédures ; quelque fois ça parait rebutant, on n’a pas envie et on pense que les bonnes intentions vont régler le fait qu’on s’entend et qu’on puisse parler et finalement on se rend compte que le cadrage, très strict, avec une méthodologie qui est la même pour tout le monde, comme on disait tout à l’heure pour le comité de pilotage. Vous avez insisté sur son rôle qui est capital parce qu’il permet de structurer ces échanges-là de savoirs qui ne vont pas fonctionner d’eux-mêmes en fait, parce qu’on a l’impression que voilà, par les bonnes intentions, par le fait qu’on veut s’entendre ça marche.. Mais, pour avoir connu des associations qui sont très participatives, au départ, j’étais étonnée du nombre très important de règles et de procédures mises en place, et finalement ces règles et ces procédures qui, au départ m’étonnaient, finalement sont celles qui permettent ce cadrage qui fait en sorte que toutes les parties prenantes, qui ont des exigences légitimes les uns et les autres, soient en légitimité et soient en possibilité de parler.

Patricia Chvedco : On voulait un peu rebondir sur ce qu’on a entendu en début de cet atelier, quand une personne a dit que on ne prenait que les compétents. Nous ça nous a heurtés parce que, si aujourd’hui effectivement vous avez comme vous l’avez précisé, des personnes qui savent s’exprimer, c’est parce qu’on a fait tout un bout de chemin.

Mais nous aussi on vient de très bas et grâce à un mouvement associatif on a pu se former à la parole, à la prise de parole en public, à l’analyse, à tout ce que vous voulez. Mais on voulait quand même vous préciser que si on est là aujourd’hui ou dans d’autres rencontres, si vous nous voyez nous, derrière nous il y a énormément de personnes qui vivent en situation de grande pauvreté. Et nous, nous faisons la différence grande pauvreté. Parce que ce matin aussi on a entendu « la pauvreté ça ne dure qu’un moment », eh bien qu’est-ce qu’il est long ce moment pour nous ! Pour nous la pauvreté, elle est là de génération en génération, on a beau faire tout ce qu’on veut, nos parents l’ont vécue, on la vit, et nos enfants la vivent aussi. Donc c’est aussi ce qui nous motive justement dans ce combat contre le refus de la misère. Je voulais bien préciser qu’il ne faut pas, quand vous faites une recherche avec des personnes en situation de pauvreté, s’il vous plaît, ne prenez pas uniquement ceux qui savent s’exprimer, parce que c’est ceux qui ne savent pas encore s’exprimer qui ont le plus de choses à vous communiquer pour qu’ensemble on réfléchisse à un changement de société.

Doris Mary : On porte juste la parole de ceux... en premier on est tournés vers ceux que l’on ne voit pas, et de ces familles qui sont oubliées. On est juste là pour porter la parole de ces personnes-là, parce qu’eux sont peut-être encore assez timides pour venir eux-mêmes la porter. Mais on la présente.

Raymonde Languet : Je voulais simplement dire : aux UP on avait invité des jeunes. C’est l’Université Populaire, une fois par mois. On avait invité une assistante sociale, elle nous avait ramené des élèves qui travaillaient dans le social et depuis un an ces élèves-là viennent à toutes les réunions, donc on a la preuve qu’ils s’intéressent à nos problèmes. De toute façon ces jeunes-là, ils font un peu partie de nous maintenant parce qu’ils comprennent tout. Enfin tout, non, mais ils savent comment on peut parler, comment on doit faire et tout. Et là comme j’ai expliqué à une personne, on avait une dame qui ne s’était jamais exprimée, et là le 17 octobre elle a lu un témoignage devant le Maire de Reims, on a pleuré de joie après, parce qu’elle se sentait incapable de le faire et quand elle l’a fait, elle était aux anges. On était émus quand même parce qu’elle restait dans son coin, elle disait toujours oui, et c’est pour prouver que petit à petit on leur donne la possibilité de parler. Quand on va aux UP, on reparle de tout ce qu’on a fait, et il y en a qui viennent : « bah oui pour en faire partie faut faire quoi ? » et on leur explique. Voilà, ce n’est pas évident, c’est toujours à peu près les mêmes qui viennent, et on voudrait faire changer ça.

Marianne de Laat : : Merci Raymonde, alors il faut vraiment qu’on termine, donc Didier Torny le mot de la fin est à vous.

Conclusion de Didier Torny, directeur-adjoint scientifique de l’InSHS

D’abord merci à tous. Je vais d’abord préciser quelle est la position du CNRS. Évidemment on vous accueille, alors ça peut être juste sympathique, mais il faut bien voir qu’on est évidemment très favorable au type de démarche que vous défendez ici parce qu’on pense que la pertinence sociale fait partie des critères d’évaluation d’une bonne recherche.

Toutes les recherches n’ont pas à être socialement pertinentes, on peut faire de l’érudition, on produit de la connaissance pour la connaissance, mais il n’y a pas de raison 1) de penser que c’est mal si c’est pertinent socialement et 2) nous pensons que c’est bien si c’est pertinent socialement. Et c’est vrai qu’on constate la faiblesse relative en France de ce qu’on appelle en anglais « community research » ou « community-based research », donc on va dire en français de la recherche qui se fait avec… avec on ne sait pas trop qui, puisqu’on voit que ça a été un des points de discussion : avec des associations, des milieux, des personnes, des lieux, voilà, qu’ils soient de nature publique, associative, privée ou autre.

Deuxième élément, peut-être pour me situer. Donc mon expérience en la matière : j’ai beaucoup travaillé sur des questions de santé depuis 25 ans, la question de la participation de personnes au statut très différent, de patients, de victimes, de familles, etc. s’est posée et on a des formes d’intervention de plus en plus fortes avec des modalités de recherche très différentes. On a la question de la définition même des recherches : qu’est-ce qu’on va chercher, sur quoi exactement ; on a la question de l’évaluation, du suivi, de la réalisation, etc. avec des objectifs de production très divers.

Il s’agit parfois simplement de faire preuve que quelque chose est à l’origine d’un mal par exemple, de soigner, d’avoir une prise en charge médico-sociale bien plus large que simplement la question de la prise en charge du traitement médical. J’ai travaillé récemment par exemple sur le distilbène, médicament qu’on a longtemps donné aux femmes enceintes, pensant empêcher des fausses couches tardives et en fait provocant sur leur descendance des affections plus ou moins graves mais non négligeables et dans lequel je voyais bien comment les victimes et leurs proches ont tout fait : ce sont elles qui ont produit les connaissances, obtenu des reconnaissances par le biais de procès, qui ont fait du lobbying politique pour une prise en charge sociale, qui ont assuré la visibilité médiatique et qui organisent toutes les formes d’auto-support vis-à-vis de ce collectif invisible de femmes et d’hommes qui sont touchés mais qui d’abord souvent ne le savent pas, ne comprennent pas leur expérience, n’ont pas nécessairement les moyens de comprendre l’épidémiologie ou la pharmacologie impliquées.

Une fois que j’ai dit tout ça et que je ne connais rien, mis à part ce que je lis chez mes collègues, aux questions qui vous intéressent directement, voici quelques questions et éléments qui ressortent de ce que vous avez dit.

D’abord quelque chose qui n’a jamais été discuté et qui me semble important quand même : quels sont les objectifs du croisement de connaissances ? Pourquoi c’est bien, pourquoi c’est mieux de faire de croisement, qu’est-ce que c’est censé apporter, et pour quoi faire ? Et est-ce que les objectifs sont les mêmes que celui de la production de savoir d’un côté ou de l’autre, ou est-ce qu’il y a des objectifs spécifiques et lesquels ?

Deux éléments supplémentaires qui me semblent importants, tirés à la fois de mon expérience que j’ai décrite mais aussi des expériences interdisciplinaires parce que je peux vous assurer que pour un sociologue, plutôt que d’être face à un microbiologiste ou à un physicien, c’est parfois beaucoup plus facile de travailler avec des associations en fait.

Quelles sont les formes d’exigences de part et d’autre ? Vous avez parlé de la durée, du calendrier, de l’organisation, de la définition de ce qui est partagé et de ce qui ne l’est pas. Mais des choses n’ont pas été évoquées qui me semblent importantes : la forme de rendu par exemple, c’est-à-dire qu’est-ce qu’on rend public, qui signe, quelles sont les audiences visées, à qui on parle et pour quoi dire ?

Toutes ces formes d’exigence, il me semble, font partie des conditions que vous évoquiez éthiques, mais aussi de succès, et c’est mieux d’en discuter en amont qu’en aval avant de découvrir que des chercheurs ont publié quelque chose qui ne plairait pas par exemple. J’ai des cas très précis en tête, mais c’est l’exigence en face, c’est-à-dire si moi je découvre des choses qui ne correspondent pas à ce que vous attendiez, voilà j’ai mon exigence de chercheur c’est aussi de participer à la production de connaissances donc c’est mieux d’en avoir discuté avant.

Ce qui rejoint une dernière question, le mot n’a pas été évoqué mais vous l’avez décrit au travers des expériences longues, c’est la question des attachements. C’est-à-dire quelles sont les formes de fidélité et de loyauté qui doivent être exigées et qui doivent exister lors de cette rencontre. Quelles formes de contrats ? J’emploie le mot tout à fait volontairement. Et effectivement est-ce que ça veut dire que nous on repart de notre côté et vous du vôtre, et est-ce que ça veut dire que vous allez chercher nos propres concurrents chercheurs parce que vous n’étiez pas contents de nous, ou simplement parce que vous voulez et que nous on ne veut plus et vous vous dites « alors avec qui on peut travailler ? » Quelles sont les formes d’attachement ? Il faut toujours concevoir l’idée que cette rencontre a aussi ses limites. C’est-à-dire que l’attachement va produire des choses mais il y aura aussi nécessairement à un moment ou à un autre des formes de détachement, parce que nous n’avons pas les mêmes objectifs totalement, parce qu'à un moment donné vous faites autre chose que la production de connaissances, vous l’avez évoqué à plusieurs reprises, et vous n’êtes pas nécessairement disponibles, vous ne voulez pas forcément ou vous avez d’autres sujets qui sont plus prioritaires que ceux sur lesquels on travaille. Et donc, il me semble que la question de la nature des attachements, de leur durée et des moyens de se détacher l’un de l’autre font partie des moyens de réussite et plus tôt elles sont discutées en amont, plus tôt il me semble important de faire en sorte que ça soit véritablement inclus dans la relation elle-même.

Dernier point, qui n’a pas été assez souligné à mes yeux, vous avez évoqué la diversité associative, ses limites en termes de représentativité par rapport aux populations visées, on a aussi évoqué la diversité des recherches ou des modalités, n’oubliez pas la diversité des chercheurs. C’est une forme d’encouragement : si vous avez eu des expériences négatives ou des refus, c’est normal d’abord, mais ça ne peut que vous encourager, et nous en tant qu’institution à rendre visible le plus possible tous les points d’entrée possibles, parce que je ne dirais pas qu’il y a autant de méthodes objectives que de chercheurs mais il y a des options qui sont très différentes, des formes d’intérêt, des formes de collaboration, et donc c’est mon rôle aussi et je vous le dis ici ou je vous le redis parce que vous l’entendez ailleurs, mais continuez à essayer, à stimuler les communautés de recherche et à être exigeants vis-à-vis d’eux. Merci.

Marion Carrel : Il y a quelqu’un qui demandait par rapport aux conditions qui ont été travaillées en sous-groupes mais qui n’ont pas pu être mentionnées, on me demandait comment est-ce qu’on fait pour ce travail-là ? Si certains veulent les mettre au propre et nous les donner ? Si certains veulent rédiger ce que vous avez fait en petits groupes, et nous les donner…

Marianne de Laat : Très bien, ça va nourrir cet espace collaboratif qu’on veut créer. Donc merci beaucoup pour votre participation. Vous avez bien vu, il y avait beaucoup de questions au départ, il y en a encore beaucoup à la fin, ça ne fait rien, on est sur un chemin et voilà, il est long mais on y va. On se retrouve à16h30 dans la grande salle.

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