Actes Colloque > Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

M. le Ministre, cher Thierry Mandon, Mesdames et Messieurs bonjour à tous.

Je veux d'abord évidemment vous remercier pour votre invitation à ce colloque. Je veux d'emblée vous dire que j'ai probablement une connaissance moins pointue des mots qu'il faut utiliser et donc je vais démarrer en disant qu’en tant que Secrétaire d'État en charge du Handicap et de la Lutte contre l'Exclusion, la participation des personnes concernées à la définition des politiques qui justement les concernent est un sujet qui me tient particulièrement à cœur depuis maintenant trois ans.

Alors, c'est vrai que dans ce domaine-là il y a certains secteurs qui sont plus en avance que d'autres, le handicap en est un, puisque ça fait maintenant des années et des années que des associations représentant les personnes en situation de handicap participent aux politiques publiques, et il est vrai que c'est souvent les associations de familles et pas forcément les personnes en situation de handicap elles-mêmes. Cela dépend un peu de type de handicap mais c'est aussi quelque chose qui est en train de bouger extrêmement vite actuellement.

En revanche, en matière de lutte contre l'exclusion, il reste encore beaucoup à faire et l'initiative d'aujourd'hui, celle qui nous rassemble, est encore trop rare parce que la participation de celles et ceux qui vivent dans la précarité à l'élaboration des politiques publiques est encore tout à fait insuffisante.

Parce que pendant très longtemps tout simplement on a considéré que les politiques de solidarité devaient s'imposer aux personnes concernées par ces politiques de solidarité alors même qu'elles sont censées apporter des solutions.

Mais comment peut-on imaginer apporter des solutions à des personnes si justement on ne leur a pas demandé leur avis, et pendant longtemps aussi la recherche sur les questions de pauvreté s'est faite sans y associer les personnes elles-mêmes et l'état actuel des savoirs s'est construit très largement sur des études et des recherches qui peuvent être considérées comme trop distantes des personnes, des populations qu'elles prétendent approcher.

Impliquer les personnes concernées dans la recherche en travail social c'est donc une nécessité parce que les personnes qui vivent elles-mêmes dans la précarité ont l'expérience des difficultés, et cette expérience nourrit un savoir propre, un savoir qui ne s'apprend pas dans les livres et qui ne s'apprend pas sur les bancs d’une université.

Lorsque par exemple on est une femme seule et sans emploi avec des enfants, arriver à les nourrir, à s'en occuper, cela nécessite de la créativité, des ressources et des connaissances qu'on n'a pas forcément si on n'a pas vécu cette situation.

De la même façon, qui d'entre nous peut prétendre parler de la vie dans la rue si il ou elle n'a pas déjà vécu les angoisses de celui ou celle qui ne sait pas où dormir le soir même, et de la même façon on peut difficilement décrire soi-même le sentiment qu'on ressent lorsqu'on fait la manche dans la rue.

Donc il est important de reconnaître la légitimité des personnes à intervenir dans le processus de recherche qui vise leur situation.

La recherche participative qui rapproche le chercheur de la personne est essentielle car elle doit permettre de se poser les bonnes questions.

Quelles sont les priorités des personnes qui vivent dans la pauvreté ? Selon quels indicateurs ces personnes vont évaluer l'efficacité des dispositifs qui leur sont destinés ? Est-ce que ce sont les mêmes indicateurs que ceux qui sont choisis par ceux qui décident des indicateurs ?

En matière par exemple d'accès à l'emploi, les dispositifs de soutien aux personnes en difficulté comme les contrats aidés ou le secteur de l'insertion par l'activité économique s'évaluent essentiellement au regard du taux d’emplois de sortie du dispositif.

Et pourtant, pour les personnes, l'accès progressif à l'autonomie par exemple, le sentiment d'émancipation, le sentiment d'utilité sociale peuvent tout autant être des indicateurs de réussite, mais qui ne vont pas être pris en compte dans l'évaluation de cette politique publique. Si la recherche doit permettre de trouver des solutions innovantes aux problèmes d'aujourd'hui, il est essentiel que les besoins soient définis avec les personnes elles-mêmes.

Rapprocher les chercheurs et les personnes en situation d'exclusion doit également éviter de tirer des mauvaises conclusions.

Par exemple, peut-on conclure, comme le font certains, que le fort taux de refus de prise en charge d'hébergement parmi celles et ceux qui sont sans domicile prouve qu'une partie des personnes choisisse volontairement de vivre à la rue ? Vous savez, c'est quelque chose qu'on entend souvent. Non ! Mais les gens en fait refusent d'aller dans les hébergements donc c'est (soi-disant) parce qu'ils choisissent et préfèrent être dans la rue. Et en réalité quand on fait des entretiens réguliers avec les personnes qui vivent dans la rue, je ne dis pas que c’est toutes, cela permet de comprendre pourquoi les refus sont fréquents : conditions de sécurité et d'hygiène décente jugées parfois trop mauvaises, crainte de contrôle administratif pour ceux qui ont des difficultés administratives, qui sont sans-papiers, et impossibilité aussi parfois de les intégrer avec leurs animaux de compagnie.

Bref, il peut y avoir toute une série de raisons qui n'ont rien à voir avec le fait de vouloir à tout prix être dans la rue. Chacun l'aura compris.

Pour comprendre les besoins, les situations des uns et des autres, pour analyser les pratiques et penser l'avenir de l’action sociale, il faut donc développer de nouvelles méthodologies de recherche qui associent les personnes directement concernées. Et le processus de recherche participative finalement quel est son objectif ? Faire des personnes concernées des contributeurs utiles et pas seulement des objets d'études.

Cette participation est importante aussi parce que, de mon point de vue, c'est un levier d'émancipation et d'insertion. C’est ce que les anglo-saxons appellent « l’empowerment», puisque cela inverse le cercle vicieux qui s'est mis en place avec des discours stigmatisant qui sont encore malheureusement extrêmement nombreux, tous ces discours qui prétendent que quand est pauvre, on est le principal responsable de sa situation, ces discours qui, ont le sait, contribuent à miner la confiance des gens et ne permettent pas d’avancer dans son propre parcours personnel et dans la société.

La participation permet justement d'inverser cela.

Alors évidemment la participation ne se fait pas sans résistance.

Il y a un exemple que je connais bien, c'est celui de la médecine de par mon métier d'origine. Je viens d’un secteur où cela s'est fait relativement facilement. Ma spécialité c'est le VIH. Quand il y a eu l'épidémie de sida, quand les nouveaux traitements sont arrivés, finalement les patients et les médecins ont travaillé ensemble et découvert ensemble comment se prenaient ces traitements, les différents effets secondaires, comment on pouvait améliorer les choses, etc.

Mais il y a d'autres domaines, moi encore récemment, quand je parlais à un professeur pour lui expliquer qu'il fallait faire participer les personnes autistes à la formation des professionnels qui travaillent dans le domaine de l'autisme, il m'a répondu assez vertement «mais enfin on ne fait pas participer les opérés de l'appendicite à la formation des chirurgiens ! », bien qu'on devrait !

Donc, vous voyez, les résistances sont encore assez importantes mais il faut analyser pourquoi il y a ces résistances. Elles peuvent venir d'une mauvaise compréhension de la dimension participative parce que la participation ce n’est pas l'évaluation du travail des professionnels, c'est simplement reconnaître qu'on ne peut pas trouver de solutions durables si on n'a pas pris en compte les besoins ou le ressenti des personnes qui sont concernées. Il ne s'agit pas que le chercheur soit soumis aux contraintes dans ses objets d'études, mais simplement qu'il ou elle bénéficie des retours d'expérience, d'avis qualitatifs qui l'aident à l'orienter dans son travail. La participation, il ne faut pas non plus que ce soit en quelque sorte la déclinaison d'une vision paternaliste qui se confondrait avec une approche éducative. Si les personnes doivent être associées, c'est avant tout pour prendre en compte leur avis, leur expertise, c'est une condition d'efficacité. La participation ne doit pas être utilisée pour se donner bonne conscience, mais c'est vrai quand je parle devant ATD Quart Monde, je risque d'enfoncer des portes ouvertes, mais quand même il faut le dire. Il ne faut pas non plus que ce soit un outil de contrôle social, ça doit vraiment apporter quelque chose à la connaissance des besoins et à la définition des solutions innovantes.

A l'inverse, je dirais, qu'il ne faut pas non plus tomber dans l'excès inverse. Il ne faut pas non plus considérer que parce qu'une personne a vécu une situation de précarité ou parce qu'elle-même est en grandes difficultés, du coup tout ce qu’elle va dire est forcément beaucoup plus exact que ce que quelqu'un d'autre dirait, parce que l'inverse arrive aussi parfois.

Dans le domaine de la recherche puisqu'on est ici au CNRS, certains diront qu'il faut une distanciation entre le chercheur et son objet, mais c'est précisément ce raisonnement qui voudrait séparer le savoir et l'expérience et c'est précisément de mon point de vue l'erreur que nous ne voulons pas faire. Et ce chantier de la participation est quelque chose qui a été essentiel au sein de ce gouvernement. Nous avons renforcé d'abord la représentation des personnes concernées dans les instances nationales en consolidant le huitième collège du Conseil National de Lutte contre les Exclusions (CNLE) mais aussi en consolidant le Conseil Consultatif des Personnes Accompagnées (CCPA) et, conformément au plan d'action pour le travail social et le développement social, nous avons sollicité auprès du nouveau Haut Conseil du Travail Social un rapport visant à identifier les différentes instances dans lesquelles la participation des personnes concernées devait être instaurée pour permettre ensuite une réforme de la gouvernance de ces instances.

Nous avons aussi fait réaliser un kit de la participation qui a été diffusé dans une journée en novembre 2016 et qui a vocation à servir de guide méthodologique à tous ceux qui souhaitent avancer sur ces questions de la participation, parce qu'on peut imaginer aussi que ça se passe au niveau des collectivités locales, et pas seulement au niveau de l’État, mais il y a toute une série de questions pratiques à résoudre.

Plus largement, nous avons tenté avec plus ou moins de succès d'associer des personnes aux choix stratégiques qui ont été pris en matière de handicap avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées. En matière de lutte contre l'exclusion, je voudrais citer l'exemple de la réforme des formations initiales des travailleurs sociaux que nous avons initiée en 2016 et pour laquelle nous avons souhaité instaurer un groupe miroir. Qu'est-ce que c'est que ce groupe miroir ? C’est un groupe composé de personnes qui sont accompagnées par des travailleurs sociaux et donc ce groupe a vocation à interagir avec les professionnels dans la définition des besoins de formation et de compétences des travailleurs sociaux.

On peut donc dire à l'évidence que la recherche participative est un vecteur d'amélioration des politiques publiques. Il est important que ces politiques puissent s'appuyer sur le secteur scientifique, mais bien sûr sur un secteur scientifique connecté aux enjeux du quotidien, et c'est dans cet esprit que nous avons lancé avec Thierry Mandon, et aux côtés du Président de la République, en janvier dernier, la Fondation pour l'Investissement Social et le Développement Humain qui aura pour vocation d’accompagner l'évaluation scientifique réalisée par des chercheurs de projets porteurs, de projets innovants d'action sociale.

C'est dans cet esprit également qu'avec Thierry nous avons lancé en 2016 un appel à projets de recherche pour appuyer des projets visant à améliorer les connaissances sur les conditions de la participation des personnes aux politiques, notamment pour comprendre quels sont les facteurs qui déclenchent l'engagement dans une dynamique de participation et qui conduisent les personnes à rester impliquées.

Deux premiers projets ont été sélectionnés et je souhaite que cette dynamique se poursuive en 2017.

Je voudrais donc en conclusion bien sûr saluer l'initiative de ce colloque et remercier particulièrement le CNRS de mettre son savoir, ses connaissances, sa renommée et cette salle au service d'une société plus inclusive et plus ouverte. Je veux évidemment remercier les bénévoles et les salariés d’ATD Quart Monde et remercier plus globalement ATD Quart Monde de tout ce travail qui est fait depuis des années pour porter justement cette question de l'importance de la participation de tous aux politiques de demain.

Et c'est vrai qu’à un moment important pour notre pays où se multiplient notamment des discours stigmatisant le supposé assistanat, qui visent les personnes qui vivent dans la pauvreté, bien des initiatives comme celle-ci contribuent, j'en suis persuadé, à rétablir la vérité sur le combat que vivent en réalité au quotidien les personnes qui vivent dans la précarité. C'est une excellente chose et je vous souhaite d'excellents travaux. Je serai très attentive évidemment aux actes du colloque et à tout ce qui aura pu se dire ici. Merci.

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